Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 63.djvu/1042

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

française. La forme adoptée pour remplir cette tâche n’est point celle que nous eussions préférée. Chose curieuse, la lettre écrite par l’empereur à M. Drouyn de Lhuys et lue par M. Rouher à la chambre des députés a paru, aux yeux de la majorité de cette chambre, rendre inutile la discussion parlementaire des vastes questions aujourd’hui soulevées en Europe. À nos yeux, dans les circonstances actuelles, s’il était bon que le gouvernement fit connaître sa pensée, il n’importait pas moins que les opinions du pays fussent aussi exprimées par ses mandataires naturels. Entre les deux manifestations, celle du chef du gouvernement et celle de la discussion des chambres, tempérée, coordonnée, dirigée par le ministre d’état, c’est la seconde qui nous eût paru préférable. Le plus pressant intérêt du moment n’est-il point de savoir ce que le pays pense des perspectives ouvertes par des événemens dont il souffre déjà si cruellement ? Quel organe plus autorisé et plus sûr les sentimens du pays peuvent-ils avoir que la chambre élective ? En posant ces questions, nous ne songeons certes nullement à susciter des rivalités entre les pouvoirs de l’état, nous sommes au contraire persuadés que le patriotisme demande plus que jamais le concours de ces pouvoirs ; mais ce que nous ne pouvons imaginer, c’est que le concours du pouvoir essentiellement représentatif se puisse exercer par le silence. La discussion parlementaire, outre qu’elle est de droit et qu’elle eût été en cette circonstance dans les grandes convenances nationales, présente un immense avantage pratique. Comme elle rassemble des opinions individuelles diverses, elle laisse à la politique gouvernementale la liberté de ses mouvemens. Une déclaration de chef d’état réunissant sous une forme concise des affirmations positives peut prendre le caractère d’un engagement et préparer gratuitement des embarras pour l’avenir. À un autre point de vue, une telle déclaration, devant concilier des intérêts très délicats et s’entourer de précautions de langage, peut prêter à des interprétations contradictoires et encourager des courans d’opinion opposés. Nous pourrions citer plus d’un exemple du danger de ces proclamations ou de ces lettres retentissantes ; nous nous en abstenons, car nous nous reprocherions dans un moment tel que celui-ci d’embarrasser par des critiques rétrospectives les sentimens d’union patriotique et loyale qui devraient tous nous unir.

Cette réserve posée, à propos de l’entraînement qui a porté le corps législatif au silence, nous croyons pouvoir applaudir aux conclusions de la lettre impériale, et nous dirons bientôt pourquoi. N’est-il pas visible cependant que des opinions contraires pourraient tirer de cette lettre des interprétations dangereuses ? Nous ne signalerons qu’un point, le langage tenu par l’empereur sur la Prusse. Certes l’empereur a dû s’appliquer à parler avec l’impartialité la plus scrupuleuse des diverses puissances dont les intérêts sont en jeu dans la crise actuelle ; mais la conduite du gouvernement prussien dans ces derniers temps a été si peu excusable qu’en s’ef-