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l’emporter qu’on regarde la question comme définitivement résolue dans le sens conservateur. Un certain temps de silence se passe, puis un nouveau champion se lève en faveur de la thèse opposée et recommence le feu avec des armes nouvelles. Tel est du moins le fait qu’on vit se produire après les premières attaques anglaises, puis après les premières attaques allemandes. Des critiques renommés, Hug, théologien catholique d’un grand mérite, Eichhorn, longtemps l’oracle de la critique allemande, Kühnœl, Bertholdt, Tittmann, pour ne citer que les plus connus, avaient, disait-on, si bien approfondi le sujet qu’il était épuisé.

Grande fut donc la sensation qui mit en émoi toute l’Allemagne théologique, lorsqu’en 1820 parut un livre latin fort habilement rédigé, dû à la plume de l’un des hommes les plus distingués de l’époque, le savant Bretschneider. Sous le titre de Probabilia, le célèbre surintendant de Gotha reprit pour son compte les argumens opposés antérieurement à l’authenticité traditionnelle et les fortifia de plusieurs considérations nouvelles, celle entre autres que voici, et qui depuis a joué un grand rôle dans toute cette discussion. — Le quatrième Évangile, disait Bretschneider, nie que Jésus ait célébré la pâque la veille de sa mort avec ses disciples ; il veut au contraire, en opposition avec les trois premiers, que Jésus ait été crucifié le jour même où l’on devait manger la pâque. À présent une tradition fort bien appuyée fait séjourner longtemps l’apôtre Jean à Éphèse, où il serait mort dans un âge avancé. Or, depuis le milieu du IIe siècle, il s’éleva une longue controverse entre Rome et l’Asie-Mineure relativement au jour de Pâques et à la manière de célébrer cette fête, les Asiates voulant faire comme Jésus, disaient-ils, et célébrer chaque année le 14 nisan en même temps que les Juifs, les Romains prétendant de leur côté qu’il ne fallait pas observer la fête juive, et que la pâque chrétienne devait être reportée au jour de la résurrection du Seigneur. Des deux parts, on en appela avec une certaine vivacité à une tradition constante que l’on disait remonter jusqu’aux temps apostoliques. Eh bien ! l’épiscopat d’Asie, à plusieurs reprises, affirma catégoriquement, et sans être contredit, que sa coutume avait pour elle l’autorité et l’exemple de l’apôtre Jean lui-même. Cet apôtre était donc d’avis qu’il avait mangé la pâque avec Jésus la veille même de la mort du maître. — Mais comment, poursuivait alors Bretschneider, comment aurait-il pu inscrire dans son Évangile une donnée toute contraire à la coutume qu’il avait peut-être fondée, en tout cas sanctionnée, à Ephèse ?

Cette argumentation, fort ingénieuse fut attaquée de tous les côtés avec une vraie passion. C’était le temps où Schleiermacher et son