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cette pensée, le général Cialdini. Nerf, passion, esprit, pointe d’indépendance vis-à-vis de la France, tout se mêlait dans ce discours qu’enflammait l’instinct patriotique, qui était une théorie animée de la défense militaire de l’Italie, et où on sentait le soldat impatient. Au fond, l’inspiration, c’était la guerre, et cette inspiration se résumait dans un mot : « Je vote la convention parce qu’il me semble qu’elle nous tire de cette léthargie où nous étions tombés depuis deux ans, parce qu’elle imprime une secousse salutaire au sentiment national. »

La même impression naissait à la fois dans tous les esprits. Par une sorte d’intelligence mystérieuse, on s’est occupé moins de Rome et beaucoup plus de Venise, de telle sorte que cette pensée d’une revendication suprême entretenue par les perplexités d’une situation intérieure laborieuse et incertaine, aiguillonnée par le spectacle irritant des Autrichiens sur le Pô, s’est trouvée au dernier moment favorisée par un acte dont on ne pressentait peut-être pas tout d’abord la portée, où le nom de Venise n’était pas même prononcé. Et maintenant ajoutez à ceci l’occasion, cette occasion que demandait M. de Cavour, un conflit où l’Autriche est engagée pour sa suprématie en Allemagne : je ne sais trop comment on pourra imaginer une Italie tranquille, inerte, licenciant son armée et préférant l’alignement de son budget à l’achèvement de son indépendance. L’Italie s’est faite l’alliée d’une puissance poussée par d’âpres cupidités, c’est possible ; elle est l’alliée de la Prusse, elle n’est pas solidaire de sa politique. Ce qui est certain, c’est qu’elle s’est alliée à M. de Bismark sans enthousiasme, avec une réserve mêlée de froideur, avec le sentiment des fausses directions de la politique prussienne. L’imbroglio allemand, ce n’est pas pour elle le triomphe de l’ambition de M. de Bismark, c’est le signal de combat auquel elle ne pouvait guère être infidèle sans retomber dans une situation où tout ce qu’elle a fait déjà risquait d’être livré à toutes les chances d’agitations stériles.

A vrai dire, l’Italie aurait pu être l’alliée de l’Autriche, si l’Autriche l’eût voulu, comme elle est l’alliée de la Prusse, et c’est là justement ce qu’il y a de curieux dans sa position. Elle poursuit un but national, populaire, qui n’a rien de commun qu’une simultanéité fortuite avec le choc des ambitions allemandes. Sa cause reste encore aujourd’hui, comme à la première heure où ce problème d’indépendance a surgi, la cause de la paix européenne fondée sur une satisfaction des idées nationales et libérales ramenées au combat. La question n’est plus maintenant de savoir comment on peut détourner cette lutte, mais dans quelles proportions elle peut se développer, comment elle peut se dénouer, dans quelle