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antagonismes, à toutes les plaintes, même à toutes les exagérations, de se produire, au risque de surexciter l’opinion et de créer des émotions factices ; de plus, au moment où la première nécessité serait de marcher vite, de ne point laisser en suspens la réorganisation du pays, elle met tout à la merci de discussions sans fin, du conflit des partis et des intérêts. A quoi se trouve alors réduit le gouvernement ? Il pose la question de confiance ; il renouvelle, quoique avec bien plus d’hésitation et moins d’autorité, ce procédé si souvent employé par M. de Cavour d’une sorte de dictature à chaque instant consentie et toujours surveillée.

Ce qu’il y a de curieux, et ce qui n’est point aussi contradictoire qu’on le croirait, c’est qu’en étant très libérale, l’Italie n’est pas moins essentiellement conservatrice, et que cet instinct conservateur, qui reste profond au-delà des Alpes, contribue à son tour, dans sa mesure et d’une autre façon, à créer des embarras en compensation de la force qu’il donne. Qu’on ne s’y trompe pas, c’est ce mélange d’esprit libéral et d’esprit conservateur qui a été jusqu’ici l’originalité et la garantie de la révolution italienne, de cette révolution qui a réussi parce qu’elle était un grand mouvement de nationalité et de liberté conduit par un gouvernement régulier. On se plaît quelquefois à évoquer tous ces fantômes d’explosions révolutionnaires possibles, de victoires du parti de l’action. Au fond, le parti purement révolutionnaire est peu puissant au-delà des Alpes, et il l’est aujourd’hui moins que jamais, parce que, dans ce qui touche les questions nationales, il ne devance pas le parti conservateur, il le suit, — parce que dans les questions intérieures ses idées sont aussi confuses que chimériques, et parce que, en fait d’hommes et de capacité politique, il occupe une belle place dans cette légion de la médiocrité que je signalais après un écrivain italien. Je me défie de ce qu’on nomme les victoires du parti révolutionnaire dans un pays comme l’Italie. Tenez, il y a quelques mois à peine, la population fanatisée d’une petite ville se jetait avec une révoltante fureur sur quelques malheureux protestans qui restaient victimes de leur zèle de propagande biblique. Quelle était cette petite ville ? C’était Barletta. Quel est le député que Barletta a envoyé au parlement ? C’est Garibaldi. Voilà les confusions étranges qui se font dans ces imaginations ! L’an dernier, M. Mazzini voulut un jour rappeler à l’orthodoxie républicaine deux de ses anciens disciples, M. Mordini et M. Crispi, deux hommes distingués d’ailleurs, anciens compagnons de Garibaldi dans l’expédition de Sicile, devenus dans la chambre les chefs de la gauche : l’un et l’autre répondaient en gens expérimentés et sensés par une profession de foi monarchique. Ils sentaient que ce n’était plus le temps des rêves.