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de discussion. Dès qu’on est en Italie, on sent cet air libre circuler des Alpes à la mer ionienne. Point d’entraves, point de moyens de répression, point d’intervention de la force ou de la police. La presse dit ce qu’elle veut, et la loi qui existe est même à peine appliquée. Le roi est mis gaîment en caricature et d’autres aussi, et à coup sûr les ministres ne sont point épargnés. Liberté sans péril d’ailleurs, qui est déjà entrée dans les mœurs et dont nul ne songe à s’effaroucher ni même à s’étonner ! Un jour ce sont les étudians de Naples qui se retirent sur leur mont Aventin et se mettent en campagne contre les règlemens universitaires. A-t-on recours à la rigueur des répressions disciplinaires ? Nullement. Un autre jour, ce sont des réunions, des meetings où le gouvernement est fort maltraité ; des discours foudroyans sont prononcés, puis chacun se retire, et le mouvement suit son cours.

L’Italie, sans être vieille dans la pratique de la liberté, fait un peu comme l’Angleterre, qui met quelquefois à nu, sans scrupule et sans fausse honte, toutes ses plaies ; elle fait ainsi depuis deux ans pour ses affaires financières qu’elle étale sans réticence au point d’en avoir peut-être exagéré les misères. Je ne dis pas que l’Italie en soit venue à contracter les mâles et fortes habitudes de l’Angleterre, et je ne vois pas trop ce qu’elle y gagnerait ; sa liberté est toute pratique, familière, avenante, et donne à ses mœurs, aux rapports des hommes et des partis, je ne sais quoi d’aisé qui n’est point sans charmes. L’idée de la liberté est devenue si naturelle, qu’un ministre de l’intérieur, l’an dernier, a voulu la pousser jusqu’à se désintéresser absolument des élections. L’expérience n’a pas trop réussi, et il est sorti de là un parlement où a quelque peu triomphé cette médiocrité dont je parlais. L’honneur du principe est resté sauf. Dans ce pays à peine émancipé, il y a un respect de la loi beaucoup plus sérieux qu’on ne croit. Je ne pouvais m’empêcher, pour ma part, d’être frappé d’une parole que j’entendais récemment, à la veille des circonstances actuelles. On parlait devant quelques hommes politiques à Florence de la nécessité de pacifier Naples, et on mettait en avant l’idée de sommer tous les émigrés napolitains qui affluent à Rome de rentrer dans leur pays sous peine de voir leurs biens séquestrés. Un des hommes les plus éminens de l’Italie, qui sera ministre demain, répondit aussitôt de l’air le plus naturel, en véritable Anglais : « Cela ne se peut pas, ce serait contre la loi. » C’est la force et l’honneur de l’Italie de maintenir pour sa sûreté, comme la loi souveraine de son existence intérieure, cette liberté qui a été le glorieux et efficace instrument de son émancipation nationale ; mais en même temps cette liberté lui crée une condition laborieuse : d’abord elle permet à tous les griefs, à tous les