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Rome, qui a été ou a paru être pendant quelque temps le premier objectif de l’Italie, et qui s’efface un peu aujourd’hui. Pour ce qui est de Venise et de sa délivrance, l’Italie est-elle arrivée à ce point d’organisation et de cohésion qu’ambitionnait pour elle M. de Cavour ? L’Europe, perplexe ou incrédule il y a cinq ans, s’est-elle réconciliée avec l’idée de cette suprême entreprise ? L’incompatibilité entre la domination de l’Autriche et les populations du pays vénitien n’est-elle pas suffisamment éclatante ? Et l’occasion enfin, l’occasion n’est-elle point venue ? Ce qui est certain, c’est que, pour atteindre le but, M. de Cavour n’excluait ni les armes ni les négociations, qu’il remettait le choix à la Providence, et que la Providence jusqu’ici ne semble nullement se mettre du côté des négociations.

Je ne dis pas qu’avant d’en venir là toutes les parties du programme de M. de Cavour aient été également et strictement exécutées, que l’Europe soit absolument convertie, au moins avant le combat, à l’idée de l’affranchissement par les armes de la Vénétie, que l’Italie surtout soit constituée et organisée de telle sorte qu’elle puisse sans péril se jeter dans une entreprise où elle trouve devant elle une des premières armées du continent, des places formidables, une domination jalouse de venger ses défaites et de reprendre son ascendant. L’unité italienne est trop jeune encore pour avoir la solidité, la régularité et les dehors d’une vieille puissance, pour ne pas se ressentir de la précipitation avec laquelle elle a été mise au monde. Il suffit de mettre le pied au-delà des Alpes, de pénétrer à demi dans l’intimité de cette vie italienne nouvelle pour voir éclater les anomalies, les lacunes, les contradictions, qui deviennent des occasions de froissemens et de plaintes. D’une province à l’autre, d’une ville à une autre ville, les griefs varient, les mécontentemens locaux se produisent sous des formes multiples. Turin saigne encore de la blessure qu’elle a reçue le jour où elle a été dépouillée presque à l’improviste de son titre de capitale, qu’elle comptait ne céder qu’à Rome. Florence l’athénienne, troublée dans ses habitudes, regarde d’un œil à demi sceptique passer ce gouvernement, cet appareil de représentation politique qu’elle n’a point demandé. On dirait qu’elle se dérange pour loger le parlement italien dans son Palais-Vieux, dans sa vieille salle des Cinq-Cents et aux Offices, pour livrer ses palais aux administrations publiques. Contraste singulier de la vie moderne et de tous les souvenirs du passé ! j’ai vu un bureau de la garde nationale placé dans la salle du chapitre du couvent, de Saint-Marc, en face d’une des plus belles fresques de Beato Angelico, qui représente le Christ entre les deux larrons, et ayant à ses pieds la Vierge et les saints. Florence est-elle satisfaite