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à ses écrivains avec tant d’amertume d’avoir voulu ressusciter les dieux antiques doit remonter plus haut. Ils n’avaient pas imaginé les premiers cette façon maladroite de mélanger les deux cultes. Avant Camoëns et Sannazar, saint Sidoine et saint Fortunat l’avaient fait et avec aussi peu de bonheur. On avouera qu’il ne serait pas juste de vouloir damner les uns après qu’on a canonisé les autres. Il faut même remarquer que les poètes modernes sont au fond bien moins coupables que Fortunat. Aujourd’hui le paganisme est mort, et il n’y a pas de danger qu’on voie autre chose dans les noms de Minerve et de Vénus que des figures de rhétorique dont la fraîcheur est douteuse. Au Ve siècle, ces divinités avaient encore quelques adorateurs obstinés ; il était à craindre que chez beaucoup de chrétiens nouveaux leur nom prononcé ne réveillât d’anciennes croyances. Ce qui n’est plus qu’un ridicule aujourd’hui pouvait être alors un péril.

Malheureusement Sidoine et Fortunat ne conservent pas de l’antiquité ce qui méritait seul de vivre. Ils réchauffent avec soin de vieilles métaphores, mais ils laissent périr l’art véritable. Les maladroites réminiscences de Virgile dont ils se parent rendent plus visible la médiocrité ordinaire de leurs vers. Il n’y a rien de plus triste dans le recueil de M. Le Blant que le spectacle de cette décadence littéraire. Presque toutes les inscriptions en prose qu’il a rassemblées sont d’une pauvreté remarquable. Le plus souvent elles se copient les unes les autres. Celles d’un même pays et d’un même temps se ressemblent. Cette monotonie fait penser qu’il y avait dans chaque province des formulaires tout rédigés. M. Le Blant en a découvert une preuve assez curieuse. On lit sur une tombe de Crussol : « Il mourut l’année tant du règne de notre roi, regni domini nostri régis tanto. » Voilà la formule comme elle était préparée pour servir à tout le monde, chacun devait remplacer le mot tant par la date exacte ; ici le graveur distrait a oublié de le faire. Dans les inscriptions en vers, les maladresses ne sont pas plus rares. Quand on n’avait pas d’épitaphe toute prête pour un mort d’importance, on prenait sans scrupule celle d’un autre, et en essayant de l’approprier à sa destination nouvelle on commettait souvent les plus étranges bévues. L’inscription était destinée à un homme, on l’applique à une femme sans paraître s’apercevoir que la substitution d’un genre à l’autre altère la mesure. Elle n’était faite que pour une personne, on s’en sert pour deux, et le graveur, après avoir mis le verbe au pluriel, copie fidèlement le reste, et laisse l’adjectif au singulier. On ne se demandait pas non plus si les éloges donnés à l’ancien mort convenaient beaucoup au nouveau. On acceptait le vers, quel qu’il fût, pour n’avoir pas la peine