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réunir à lui qu’au jour de la résurrection. Des deux côtés on affirmait sans hésiter. « Les cieux sont ouverts aux saints, disaient quelques pères de l’église. — Le ciel n’est ouvert à personne, répondait Tertullien, tant que la terre existe. — Félix, dit saint Paulin, a vu tous les hôtes illustres du ciel se lever pour le recevoir et pour le transporter en triomphe devant le trône de gloire. — Si quelqu’un, écrit saint Justin, ose affirmer que dès la mort les âmes s’enlèvent au ciel, ne le tenez pas pour chrétien. » Ainsi, sur ce dogme capital, le plus important peut-être du christianisme, les pères n’étaient pas d’accord. Leurs diverses opinions avaient naturellement pénétré dans le peuple, et nos inscriptions en conservent des traces nombreuses. Il y en a qui se gardent bien de rien affirmer et qui restent neutres. Dans des vers destinés à être placés au-dessus des reliques de saint Clarus, on lit ces mots prudens : « Soit que tu reposes dans le sein de nos pères ou sous l’autel du Seigneur, soit que tu vives dans une forêt sacrée, en quelque lieu que tu te trouves du ciel ou du paradis, Clarus, tu jouis d’une paix et d’un bonheur éternels. » L’auteur a craint de se compromettre, il a rapporté les principales hypothèses, sans vouloir s’exposer au danger de choisir. Cette réserve n’est cependant pas commune ; les fidèles ont ordinairement leurs préférences et ne les cachent pas. Il semble qu’en Gaule on penchait plutôt pour l’opinion qui différait la récompense des justes jusqu’après la résurrection. C’était aussi la plus répandue dans l’église primitive, celle qu’avaient soutenue les docteurs les plus renommés. On a vu, dans l’épitaphe du chrétien de Die que j’ai déjà citée, qu’il attend en repos le jour du jugement à venir. Il y a dans la Lyonnaise, aux environs de Vienne, un grand nombre de monumens funéraires qui portent tous une même formule : « dans l’espoir de la résurrection future. » Cette formule semble indiquer aussi que ceux qui les ont construits n’admettaient pas que la récompense fût donnée à personne avant la consommation des temps. M. Le Blant, pour expliquer la rencontre de ces inscriptions semblables dans le même pays, s’est demandé s’il ne fallait pas y voir l’influence persistante de saint Irénée, qui fut un des défenseurs les plus ardens de cette doctrine. Il ne serait pas étonnant qu’elle se fût conservée dans les lieux où elle avait été prêchée avec tant d’autorité. Cependant elle finit par être vaincue parce qu’elle se heurtait contre le sentiment populaire. Le culte des saints se répandait de plus en plus parmi le peuple ; on croyait tous les jours davantage à l’efficacité de leur intercession ; on les priait avec ferveur, on leur bâtissait des églises ; pour les payer des biens qu’on croyait leur devoir, on ne savait quels honneurs leur rendre. Aussi les voulait-on glorieux, triomphans, en