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l’entassement des sépultures. On brisait les revêtemens de marbre dont les murs étaient couverts, on détruisait des fresques antiques, on compromettait la solidité des voûtes pour trouver place dans le rayon où l’on supposait que s’étendait la protection du saint. Plus tard, quand les reliques sont déposées dans les églises, on se dispute le droit d’y être enterré. Les murailles et le pavé se remplissent de tombes. Une inscription de Vaison prouve qu’il fallait beaucoup prier pour jouir de cette faveur, et un sous-diacre de Trêves se félicite en vers barbares de l’avoir obtenue, « parce que ni le Tartare ni les terribles châtimens ne pourront plus lui nuire. » Ainsi, quand on prouverait avec Mélanchthon que les pères n’ont rien dit de l’habitude d’invoquer les saints et de compter sur eux après la mort, ces inscriptions suffiraient pour établir que ce fut de bonne heure une croyance populaire.

Il est naturel qu’il soit souvent question sur les tombes de la résurrection : c’est la consolation la plus efficace de ceux qui meurent comme de ceux qui survivent. M. Le Blant a consacré plusieurs dissertations à étudier la façon dont cette doctrine est exprimée dans les inscriptions chrétiennes et les vicissitudes par lesquelles il semble qu’elle a passé avant d’arriver à sa formule définitive. Il n’en est pas sans doute qui ait plus étonné la société païenne. Le jour où l’aréopage d’Athènes l’entendit pour la première fois de la bouche de saint Paul, les sages de ce pays, où l’on aimait tant la nouveauté, où les plus étranges opinions n’effarouchaient personne, ne purent cacher leur surprise. « Les uns se moquèrent ouvertement, les autres dirent : Vous nous reparlerez plus tard de ces choses. » Peut-être aussi n’en est-il point qui ait plus servi la religion nouvelle. Dans les épreuves des persécutions, elle empêchait les fidèles de faillir ; par cette perspective immortelle, elle les raffermissait, contre les souffrances du présent. Leurs ennemis sentaient bien la force que les chrétiens tiraient de cette espérance ; pour la leur enlever, ils brûlaient les corps des martyrs, ils jetaient leurs cendres dans les fleuves, convaincus que ces membres dispersés ne pourraient jamais se réunir, et qu’ils privaient ainsi tout ensemble leurs victimes de la vie présente et de la vie future. Leurs calculs ne furent pas tout à fait trompés. A la vue de ces cadavres mutilés, des craintes, des doutes se glissaient dans l’esprit des survivans. Les évêques avaient beau leur dire « qu’il est écrit que pas un cheveu de notre tête ne périra, que l’homme, dévoré par les bêtes, dispersé par le courant des flots, détruit par la putréfaction dans le sein de la terre, n’en sera pas moins ressuscité un jour : » il restait toujours quelques inquiétudes dans les âmes les plus fermes. Ces craintes se traduisent par le soin extrême qu’on prend de protéger