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supériorité de l’esprit sur le corps, aussi légitime, aussi nécessaire est l’intervention de l’état s’appliquant à défendre les intérêts moraux des mineurs comme à garantir leurs intérêts matériels.

On combat néanmoins au nom même du peuple une mesure qui va le priver d’une partie de ses ressources. Plus d’une famille pauvre obtient, dit-on, par le travail des enfans un supplément de salaire qui lui est indispensable. Nous pourrions répondre d’abord que le père n’a pas le droit d’exploiter ainsi les forces naissantes de ses enfans, et que c’est bien mal comprendre l’intérêt des ouvriers que de réclamer pour eux la faculté de perpétuer les causes de leur infériorité. Il y a plus, la science économique démontre rigoureusement que l’obligation scolaire ne peut diminuer le revenu des classes laborieuses. En effet, une certaine quantité de travail doit être accomplie, et une certaine somme est affectée à le rétribuer. Défendez aux enfans en âge d’école de s’en charger, il faudra qu’on s’adresse à d’autres enfans plus âgés ou à des adultes, et ceux-là toucheront ce qui serait revenu aux premiers. De toute façon, le travail sera exécuté par des membres de la classe ouvrière, et celle-ci jouira de la rétribution. La même somme de salaire, sans diminution, lui reviendra. Cette loi, qu’établit la théorie, a été confirmée par les faits. La récente enquête anglaise sur le travail des enfans a démontré que l’interdiction légale, loin de nuire, a plutôt profité aux travailleurs des industries où elle est appliquée. Il ne faut donc point s’étonner si les plus intelligens des ouvriers et des maîtres réclament d’une commune voix pour les enfans la limitation des heures de travail et l’obligation scolaire.


II

Le droit de la société de décréter l’enseignement obligatoire étant démontré, il faut faire plus : il faut prouver que cette mesure est nécessaire, et que les inconvéniens ne dépassent pas ici les avantages. L’intervention de l’état est si souvent arbitraire, peu utile ou positivement nuisible, il est si dangereux d’affaiblir le ressort de l’initiative individuelle, qu’il ne convient de se soumettre à une contrainte nouvelle que si celle-ci est indispensable. La tutelle du pouvoir doit diminuer d’ailleurs à mesure que les citoyens voient mieux ce qu’ils peuvent et doivent faire. Il semblerait donc que ce soit aller contre le mouvement, de notre époque que d’investir l’état d’une attribution nouvelle. C’est cet ordre de considérations qu’il faut aborder maintenant.

Que les attributions de l’état doivent aller en se restreignant sans cesse jusqu’à l’annulation finale, comme le soutiennent les économistes, ou doivent s’étendre, encore, comme d’autres écrivains