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encore le congrès de bienfaisance de Francfort, après un examen approfondi, votait ce principe à l’unanimité sur le rapport de M. le docteur Stubenrauch. « La liberté du père ou du tuteur et son droit sur l’enfant et le pupille, disait le rapporteur, ne vont pas jusqu’à l’abus de ce droit, et rien ne peut les dispenser de remplir les devoirs que la nature leur impose. L’enfant a de son côté un droit non moins sacré : il a droit à une éducation conforme à sa destinée. Ce droit de l’enfant, c’est assurément au père ou au tuteur qu’il appartient d’y satisfaire ; mais l’état a également une tutelle à exercer. Il doit veiller à ce que les parens ne méconnaissent pas leurs obligations ; il doit les aider et au besoin les contraindre à faire ce qu’exige le bien-être futur de leurs enfans. Ceux-ci ne pouvant eux-mêmes se protéger contre l’imprévoyance, l’aveuglement ou la cupidité de leurs parens, c’est la société qui doit les protéger et les défendre. L’intérêt des enfans n’est pas seul en jeu : il y a aussi l’intérêt de la société qui exige que l’on tarisse la source des vices, des misères et des crimes. Or cette source est surtout l’ignorance. Si l’on tolère, sous prétexte de respecter l’autorité paternelle, cette espèce d’homicide moral qui consiste à priver les jeunes esprits des lumières dont ils ont besoin pour se développer, on doit s’attendre à voir grandir le nombre des pauvres et des criminels. Ainsi, en tant qu’il représente l’intérêt de tous, l’état a le droit d’intervenir pour réprimer des faits qui menacent l’ordre et la sécurité publique. Cette intervention se résume en ces mots : empêcher l’abus de l’autorité paternelle, et protéger les droits des mineurs en même temps que l’intérêt social. »

Les adversaires de l’instruction obligatoire font valoir deux objections. Ils prétendent qu’en la proclamant on porte atteinte premièrement à la liberté individuelle, en second lieu à la liberté de l’enseignement. La liberté individuelle ! Qu’est-ce à dire, et de qui viole-t-on la liberté ? De l’enfant ? L’objection n’est pas sérieuse, car chaque jour le père force son fils à aller à l’école, et le maître l’oblige à apprendre sa leçon. Réclamerez-vous contre cette contrainte imposée au mineur, et demanderez-vous pour lui le droit inviolable à l’ignorance ? Est-ce donc alors la contrainte imposée aux parens que vous combattez ? En ce cas, il vous faut aussi condamner la contrainte imposée au criminel, et défendre en lui le principe de la liberté individuelle méconnu et violé. Quoi ! la loi punit sévèrement celui qui affame le corps de ses enfans, et le père coupable qui priverait l’âme de son fils de toute nourriture spirituelle ne pourrait même être contraint à remplir cette obligation sacrée ! Et la société devrait permettre à des hommes aveuglés de perpétuer dans son sein les ténèbres, le crime, le paupérisme, tous les maux, en privant une partie des générations nouvelles des