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L’état du malade empirant toujours, on résolut de revenir en France, afin qu’il eût au moins cette douceur de mourir dans sa patrie et au milieu de tous les siens. Alexandrine songea dès lors à mettre à exécution, après en avoir informé sa mère, le projet qu’elle avait conçu de s’unir pour l’éternité à l’âme d’Albert en embrassant sa religion, car pour Mme de La Ferronnays cette conversion ne fut pas seulement une suprême consolation donnée à son mari, ce fût un véritable mariage mystique, une seconde alliance conclue en face de la mort. Autrefois dans des jours plus heureux, au commencement de leur amour, Albert avait offert tout à Dieu, même l’enthousiasme, pour la conversion d’Alexandrine ; maintenant elle lui rendait ce vœu en lui offrant tout ce qui lui restait d’elle-même, en lui sacrifiant toutes les espérances de la terre et en garantissant son âme contre cette crainte de l’oubli, torture des mourans aimés. Le 29 mai 1836, Alexandrine abjura donc la foi protestante entre les mains de l’abbé Martin de Noirlieu, un des plus anciens conseillers spirituels d’Albert. Voici quelques-unes des pages écrites pendant les jours qui suivirent l’abjuration, dans cet incomparable enivrement de douceur qui accompagne l’accomplissement de tout grand acte chrétien.


« Mon Dieu, fais que, même pour toi, je n’oublie pas ma mère, mes frères chéris, mon père dans l’autre vie, et les soins que je dois donner à mon Albert. Mon Jésus, fais que j’accompagne mon pauvre ami, que toi-même tu m’as donné pour mari, que je l’accompagne partout, dans les ombres de la mort comme dans toute la force de la vie, dans le sommeil du tombeau comme auprès de son lit de souffrance, que je sois là toujours sous ses yeux, une figure connue et aimée, une voix encourageante, une compagne pour tout supporter ! Mon Jésus, préserve ma pensée de désirer autre chose. Amen. Chère Vierge, chers saints, priez pour moi !

« Avant d’aller me confesser à l’abbé Gerbet, je lui avais fait la lecture, et dans une des réflexions qui suivent les chapitres de l’Imitation j’avais lu ces mots : l’amour est plus fort que la mort !

« Ces paroles m’ont relevé l’âme.

« L’amour est plus fort que la mort. » Mon Dieu ! merci, merci. Quelle grande grâce ! et comment, après cela, pourrais-je n’avoir pas de foi, quand tu as tellement exaucé ma prière de me faire sentir combien je l’aimais ! Ces horribles idées de doute étaient donc des illusions, et maintenant, doux et glorieux sentiment ! je sens que je descendrais volontiers avec lui dans le gouffre de la mort, que j’ai cependant toujours craint. Mon Dieu, jamais séparée de lui, jamais, mon Dieu ! Il a besoin de moi, et moi je puis me passer de tout ce que je laisserai sur la terre.

« Doux ami, si éprouvé, qui m’as tant aimée quand tu ne souffrais pas, ne crains pas que, dans tes souffrances, tes dernières souffrances, je t’abandonne. Notre Dieu me fera la grâce, je l’espère, que je ne sois pas