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chez elle le lendemain avant midi, ou plus tard chez une de ses amies à Bujukdèré. La manière de saluer turque est on ne saurait plus gracieuse. On porte la main à la poitrine, puis à la bouche, puis au front.

« Samedi, 6 juin. — Partis à onze heures et demie, avec notre drogman, pour aller trouver ma belle petite Turque : elle était partie pour Bujukdèré. De là à Térapia, où Albert voulait faire une visite à l’amiral Roussin ; puis, après une visite à une parente de notre drogman qui m’a fort intéressée, à la légation de Russie à Bujukdèré, où l’on nous a renvoyés en disant qu’on ne recevait qu’après dîner. Il était quatre heures. Sur cela, je me décide à aller à la recherche de ma jeune Turque. Nous étions déjà près de la maison qu’elle m’avait indiquée, lorsqu’un domestique du ministre de Russie accourt pour nous dire qu’on nous attend chez lui pour dîner. Putbus me conseille néanmoins d’aller voir un instant ces femmes, qui m’inspirent beaucoup de curiosité. Je m’y décide, me croyant à deux pas de leur maison ; au lieu de cela, on me fait gravir une haute colline, j’arrive essoufflée, agitée, de peur d’être trop en retard pour le dîner. J’aperçois une vue admirable, dont je suis trop pressée pour jouir ; enfin je suis introduite dans un kiosque où ma Turque était assise avec son amie et d’autres encore, à visage découvert, des roses dans leurs cheveux. On leur apporte des bonbons d’Europe, dont je m’étais munie pour elles, en échange des confitures qu’elles devaient m’offrir ; mais elles n’en ont pas eu le temps, car je n’ai fait que m’asseoir et me lever, talonnée par la hâte dans laquelle j’étais, et un peu aussi par l’embarras de ne pouvoir rien dire. Ma petite belle, plus belle que jamais, se lève aussi et me suit jusqu’à la porte, et là me retient encore pour parler à mon drogman (sans se donner la peine de remettre son voile) et le charger pour moi d’une foule de politesses. »


Le second passage décrit le spectacle des mines de sel de Wiliczka, qu’elle visita pendant son séjour en Pologne.


« Ce matin, avant neuf heures, j’ai quitté mon Albert, mon pauvre Albert, et je suis partie avec Putbus et Sternberg pour Wiliczka. On nous a fait entrer dans une maison couverte d’un grand toit. Là on soulève des planches, et vous plongez dans les profondeurs de la terre. En voyant cela et les cordes qui y font descendre, j’ai eu peur. Je me suis pourtant bientôt décidée à m’asseoir sur un des cinq sièges qui vous conduisent dans cet abîme. On nous a fait mettre à tous une espèce de robe de chambre blanche par-dessus nos vêtemens, afin de ne pas les salir. Le trajet dure peut-être cinq minutes. Quelle sensation singulière et nouvelle ! Heureusement nous n’allions pas très vite. D’autres sièges semblables aux nôtres et placés plus bas étaient occupés par des hommes tenant des torches pour nous éclairer. La terre était d’abord humide, elle redevint tout à fait sèche en descendant plus bas.

« La première chose que nous avons vue en touchant terre est un vaste emplacement dont les murs sont de sel. Des chevaux tournaient plusieurs machines, mais aucun homme ne demeure longtemps dans cette partie de la saline. Nous sommes alors descendus à pied un peu plus bas, et nous