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foule de romances et d’airs nationaux qu’il avait recueillis dans ses voyages ; parmi ceux-ci, se trouvait un charmant cantique allemand, sur des paroles traduites de saint Bernard qui disaient que rien n’était si doux que de penser à Jésus, rien de si doux que sa présence. Montal me le demandait sans cesse, quoique d’abord il eût trouvé que c’était presque une profanation de me le laisser chanter ; puis il avait été étonné d’entendre que je le chantais avec une expression approchant, disait-il, de celle qu’y mettaient trois pieuses jeunes, filles à Ratisbonne, qui chantaient ce cantique pendant leur travail. » Si, comme cela est probable, M. de Montalembert a lu ce récit, il a dû prendre plaisir à revoir son visage d’autrefois sous la lumière aimable de ces pages où il apparaît avec le sans-façon de la jeunesse et de l’intimité et, si nous osons parler ainsi, tout à fait bon enfant. Transcrivons quelques-uns des passages où il se présente à nous avec ce caractère de juvénile abandon :


« Le mardi, 13 janvier 1835. Nous ayons été aux Cascines, puis (ce qui nous a mis fort en gaîté) nous avons tous été me commander un chapeau. A dîner, Albert a pris tout d’un coup la résolution d’aller à un bal qui se donnait ce soir-là, mais que nous avions refusé tous les trois. J’ai résisté, tremblant que cela ne lui fît mal, mais il insista et finit par dire : Je le veux. Il alla dire à ma femme de chambre de tout préparer, et peu à peu je me laissai faire la douce violence de me faire aussi belle que possible. J’y passai certainement deux heures. Pour rendre la plaisanterie complète, nous forçâmes Montal à venir avec vous. Il se fit beaucoup prier ; il n’avait rien à mettre. Albert lui prêta presque tout ; puis il fallut lui chercher un cordonnier, et un coiffeur pour lui couper les cheveux ; tout cela nous égaya beaucoup, et enfin ce qui nous fit rire au moins autant que le reste fut que, nous trouvant en ce moment-là sans domestique, nous nous fîmes suivre au bal par le garçon du cordonnier… »

Lettre d’Alexandrine à Pauline de La Ferronnays. « Chère amie, il est parti, notre cher Montalembert, nous n’avons pu le retenir plus longtemps. Nous avons veillé avec lui cette nuit jusqu’à deux heures et demie, et alors il s’est mis en route. Il pleurait en nous quittant et regrette tant cette bonne vie de famille, comme il dit, que nous menions, et à laquelle il s’était si bien habitué avec nous ! C’est notre ami pour la vie, et c’est bien doux.

« Dis à Pauline que j’ai reçu sa lettre et que je vais lui répondre ; mais nous sommes encore sans domestique, et maintenant que nous n’avons plus même Montalembert pour une foule de petits services qu’il nous rendait avec tant d’amitié et de bonne humeur (tels que d’aller porter toutes nos lettres à la poste, d’aller nous acheter des marrons, etc.), nous sommes fort embarrassés. Notre petite servante ne veut pas aller à la poste la nuit ; d’ailleurs j’ai peur qu’elle ne fasse des confusions entre les lettres qu’il faut et celles qu’il ne faut pas affranchir, de sorte que cette disette de serviteur m’empêche même d’écrire. »