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aussi me mettre à genoux comme lui, et que si j’avais été avec ses sœurs je l’aurais fait. — Alors pourquoi ne le faites-vous pas tout de suite ? me dit-il. Pourquoi ce respect humain ? — Cette hardiesse, — car il me connaissait si peu, — dans un homme de vingt ans, me charma… » Et dans ce premier billet écrit un mois plus tard, en réponse à un billet de Mlle d’Alopeus qui le suppliait de se laisser soigner pendant une courte maladie, est-il bien facile de distinguer la passion du souci affectueux que peut inspirer la ferveur religieuse pour le salut d’une âme qu’on chérit ? « Non, ce n’est pas un rêve. Depuis hier je l’ai relu cent fois, et je recommencerai chaque jour après ma prière du matin. Oh ! que je serai docile maintenant ! Ce que je refusais à mes deux meilleurs amis, un mot de vous a suffi pour l’obtenir. D’où vient l’ascendant que vous avez sur moi ? Personne n’aura-t-il sur vous celui qui vous serait nécessaire pour vous guider aussi sur ce point qui vous rend si souvent triste et rêveuse ? Oh ! joignez-vous à moi pour demander au Seigneur cette joie qui donne le bonheur ! Que vous êtes bonne de prier pour moi, quoique j’en sois bien indigne ! Faites-le, oh ! oui, car j’en ai bien besoin. » C’est donc par la foi que l’amour était entré dans le cœur de M. de La Ferronnays, et pendant toute la première période de cette passion il ne songea pas que l’un pût être séparé de l’autre, ainsi qu’en témoigne cette parole dite un jour en passant auprès de Mlle d’Alopeus : « oh ! je suis bien heureux, j’ai communié ce matin et je vous aime. »

Cependant les conditions de notre pauvre vie humaine sont si fatalement tristes que l’once d’amertume trouve toujours moyen de se mêler à la livre de douceur. Ce pieux et noble amour lui-même éveille dans la pensée une réflexion singulièrement mélancolique. N’est-il pas douloureux de voir combien les expressions de nos sentimens deviennent rapidement une sorte de matière archéologique ? Tout élevé qu’il soit, cet amour porte une date et une marque, la date de 1830, la marque d’un certain romantisme catholique. Un jour par exemple, de grand matin, M. de La Ferronnays sort de sa demeure, non pour aller, à l’instar de tous les amoureux passés et présens, contempler les fenêtres de sa bien-aimée, mais pour faire pieds nus, revêtu d’un froc de pèlerin, le pèlerinage des « sept basiliques, » afin d’obtenir la conversion de Mlle d’Alopeus. Parmi les jeunes catholiques les plus fervens des nouvelles générations„ en est-il beaucoup à qui l’enthousiasme religieux pût inspirer de-pareils actes d’amour ? Pour bien comprendre de tels sentimens, il est nécessaire de se rappeler non-seulement que celui qui les manifeste appartient à une famille où se sont conservées les pieuses traditions du passé, mais que nous sommes en 1832, à un moment