Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 62.djvu/938

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

occultes, dont le mode d’action interne nous est inconnu, et cependant nous ne supposons pas que ces causes soient libres. Il est vrai que, si l’on remonte jusqu’à la cause créatrice, jusqu’à la cause suprême, on doit croire que tous les phénomènes de la nature sont les produits d’une cause libre ; mais ce n’est pas de celle-là que nous parlons, ce n’est pas de la liberté de Dieu qu’il s’agit, c’est de la mienne, de la vôtre, de celle des autres hommes ; il s’agit en un mot de la liberté d’une cause seconde appelée l’homme, et si cette cause seconde est assimilée aux autres causes qui agissent dans la nature, on ne voit plus à quels signes et à quelles conditions se manifesterait sa liberté.

A notre avis, le physiologiste pourrait se débarrasser aisément de toutes ces difficultés en écartant le problème de la liberté comme ne lui appartenant en aucune manière, comme relevant d’une autre science. Que le psychologue, le moraliste, le métaphysicien s’arrangent comme ils le pourront, le physiologiste n’a rien à y voir ; ce qu’il affirme, c’est que dans le domaine de sa propre science tout est déterminé, c’est qu’aucun phénomène ne se produit sans une condition précise, toujours la même pour tout phénomène semblable, toujours différente pour tout phénomène différent. Qu’il y ait un monde où les choses ne se passent pas ainsi, qu’il y ait un ordre de causes métaphysiques qui agissent d’après d’autres lois, c’est ce que le physiologiste n’affirme ni ne nie ; c’est ce qu’il ignore, c’est ce dont il n’a pas à s’occuper.

La vérité est qu’il y a dans l’homme deux domaines intimement unis sans doute, mais essentiellement différens : le domaine du subjectif et celui de l’objectif, pour employer une distinction si aimée des Allemands et par elle-même si importante. Le corps humain est encore du domaine de l’objectif : c’est un objet extérieur susceptible d’être étudié comme tous les objets extérieurs ; ce qui se passe au contraire dans l’intérieur du sujet ne peut être saisi que par le sujet lui-même. Vous pouvez voir et toucher mon cerveau, vous ne pouvez pas voir et toucher ma pensée. Ne dites pas qu’il en est de même des fonctions physiologiques, dont le comment échappe à nos sens : je répondrais que le comment de la pensée nous échappe également, mais que le phénomène de la pensée nous est parfaitement connu et qu’il ne nous est connu qu’intérieurement, bien plus, qu’il ne peut être en aucune façon représenté sous une forme objective. La distinction du subjectif et de l’objectif demeure inébranlable, et cette distinction peut avoir lieu dans l’homme lui-même, le corps se rapportant à l’objet et l’âme au sujet.

Si donc il y a dans l’homme quelque chose qu’on appelle la