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absolument inapplicables aujourd’hui ; mais il serait étrange qu’il en fût autrement. Comment ! depuis trois siècles que l’on pratique la méthode baconienne, on ne l’aurait point perfectionnée, simplifiée, facilitée ! Ce serait la seule machine que les âges auraient laissée dans l’état où l’ont mise ses premiers inventeurs. Pour ma part, en comparant le Novum organum aux méthodes modernes, je suis beaucoup moins frappé de ce qu’il y a de suranné que de ce qu’on y trouve au contraire de neuf, de vivant, d’applicable encore. Entrer dans trop de détails serait trop nous éloigner de notre sujet ; cependant je ne puis m’empêcher de citer quelques exemples qui nous ramèneront d’ailleurs aux idées mêmes de M. Claude Bernard.

Dans cette longue énumération que nous donne Bacon des diverses espèces de faits, que l’on peut trouver longue sans doute, mais qui est semée des vues les plus pénétrantes, il en est un certain nombre qui méritent particulièrement considération, par exemple les faits fortuits. Bacon a parfaitement vu et signalé l’importance d’un fait qui se présente accidentellement à l’observateur, et qui est comme la première piste que la sagacité du savant doit savoir poursuivre. Or que nous dit M. Claude Bernard ? Précisément que toute recherche expérimentale a la plupart du temps pourpoint de départ une observation fortuite. On sait que c’est en laissant tomber par terre un minéral, qui se brisa, que l’abbé Haüy découvrit la propriété du clivage chez les minéraux, d’où il déduisit toutes les lois de la cristallographie. Malus, en regardant par hasard au travers d’une fenêtre du Luxembourg un morceau de spath d’Islande, fut conduit à la découverte de la polarisation de la lumière.

Rien de plus ingénieux que ce que Bacon nous dit des faits cruciaux ou expériences cruciales. Ces expériences sont les expériences décisives, qui tranchent le débat entre deux hypothèses, ou qui établissent d’une manière définitive une vérité contestée. La découverte des interférences lumineuses fut l’expérience cruciale qui trancha la question entre l’hypothèse de Descartes et celle de Newton sur la nature de la lumière. L’expérience de M. Claude Bernard faisant voir qu’il y a plus de sucre dans les vaisseaux qui sortent du foie que dans ceux qui y conduisent est une expérience cruciale qui démontra contre toute objection que le foie sécrète du sucre.

Quoi de plus ingénieux que ce que Bacon nous dit des faits clandestins, qui sont ceux, dit-il, où la nature cherchée se trouve dans son état le plus faible et le plus imparfait ? Il donne lui-même pour exemple la cohésion des fluides, qui est le premier degré de la consistance et de la solidité. On peut citer encore les faits de