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les Grecs, au lieu d’appeler les statues d’airain ou de pierre, ou les peintures, des simulacres en l’honneur des dieux, ont l’habitude de les appeler des dieux, et par suite ils ne craignent pas de dire que Lacharès a dépouillé Athènè, que Denys a enlevé à Apollon sa chevelure d’or, que Jupiter Capitolin a été brûlé dans la guerre civile. Telles sont les erreurs qu’entraînent à leur suite des locutions vicieuses. » Maxime de Tyr justifie le culte des images et l’explique par la faiblesse de notre nature, qui a besoin d’attacher la pensée à un signe matériel. « Ceux dont la mémoire est robuste et qui n’ont qu’à lever les yeux au ciel pour se sentir en présence des dieux n’ont peut-être pas besoin de statues, mais ceux-là sont très rares, et à peine trouverait-on un homme dans une foule nombreuse qui pût se rappeler l’idée divine sans avoir besoin d’un pareil secours. »

Le culte des images a été le texte le plus ordinaire des reproches adressés aux Grecs par les Juifs et les chrétiens ; plus tard, les protestans ont porté les mêmes accusations d’idolâtrie contre les catholiques. Dans la lutte des partis, on cherche moins à persuader ses adversaires qu’à les convaincre, et en voulant les convaincre on les irrite. Alors ils dédaignent de répondre aux accusations, ils les acceptent et se parent des injures qu’on leur a lancées. C’est ainsi que les gueux des Pays-Bas, les sans-culottes de la révolution française se glorifiaient de titres que leurs adversaires leur donnaient par mépris. La même chose arriva aux païens accusés d’idolâtrie ; ils acceptèrent le reproche, ils tinrent à honneur de le mériter, et ils érigèrent le culte des images en système réfléchi. Hermès déclare à son disciple que le plus beau privilège de l’homme est de pouvoir créer des dieux : « De même que le Père et le Seigneur a fait les dieux éternels semblables à lui-même, ainsi l’humanité a fait ses dieux à sa propre ressemblance. — Veux-tu dire les statues, ô Trismégiste ? — Oui, les statues, Asclèpios ; vois comme tu manques de foi ! Les statues animées, pleines de sentiment et d’inspiration, qui font tant et de si grandes choses, les statues prophétiques, qui prédisent l’avenir par des songes et toute sorte d’autres voies, qui nous frappent de maladies ou guérissent nos douleurs selon nos mérites. » Ce n’est encore qu’une déclaration de principes : plus loin, il revient sur la même idée en l’expliquant clairement, et donne la théorie du culte des images. « Nos ancêtres trouvèrent l’art de faire des dieux, et, l’ayant trouvé, ils y mêlèrent une vertu convenable, tirée de la nature du monde. Comme ils ne pouvaient pas créer des âmes, ils évoquèrent celles des démons ou des anges, et les fixèrent dans les saintes images et les divins mystères, donnant ainsi aux idoles la puissance de faire du bien ou du mal. » Ces