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Discours d’initiation, vulgairement désigné sous le nom d’Asclèpios. Cet ouvrage, dont il n’existe plus qu’une traduction latine faussement attribuée à Apulée, se rattache par les idées comme par la forme à la philosophie alexandrine, et n’a rien du ton hiératique du Livre sacré et du Discours sacré. J’en citerai un passage fort curieux dans lequel Hermès annonce sous forme d’une prophétie le triomphe du christianisme, l’apostasie de l’Égypte et la persécution exercée contre les derniers fidèles de la religion nationale. Ce morceau, dans lequel l’auteur s’élève à une véritable éloquence, est une suprême et douloureuse protestation du paganisme expirant contre l’inévitable destinée.


« Cependant, comme les sages doivent tout prévoir, il est une chose qu’il faut que vous sachiez : un temps viendra où il semblera que les Égyptiens ont en vain observé le culte des dieux avec tant de piété et que toutes leurs saintes invocations ont été stériles et inexaucées. La divinité quittera la terre et remontera au ciel, abandonnant l’Égypte, son antique séjour, et la laissant veuve de religion, privée de la présence des dieux. Des étrangers remplissant le pays et la terre, non-seulement on négligera les choses saintes, mais, ce qui est plus dur encore, la religion, la piété, le culte des dieux seront proscrits et punis par les lois. Alors cette terre sanctifiée par tant de chapelles et de temples sera couverte de tombeaux et de morts. O Égypte, Égypte, il ne restera de tes religions que de vagues récits que la postérité ne croira plus, des mots gravés sur la pierre et racontant ta piété ! Le Scythe ou l’indien ou quelque autre voisin barbare habitera l’Égypte. Le divin remontera au ciel, l’humanité abandonnée mourra tout entière, et l’Égypte sera déserte et veuve d’hommes et de dieux.

« Je m’adresse à toi, fleuve très saint, et je t’annonce l’avenir. Des flots de sang, souillant tes ondes divines, déborderont tes rives, le nombre des morts surpassera celui des vivans, et s’il reste quelques habitans, Égyptiens seulement par la langue, ils seront étrangers par les mœurs. Tu pleures, Asclèpios ? Il y aura des choses plus tristes encore : l’Égypte elle-même tombera dans l’apostasie, le pire des maux. Elle, autrefois la terre sainte, aimée des dieux pour sa dévotion à leur culte, elle sera la perversion des saints ; cette école de piété deviendra le modèle de toutes les violences.

« Alors, plein du dégoût des choses, l’homme n’aura plus pour le monde ni admiration ni amour. Il se détournera de cette œuvre parfaite, la meilleure qui soit dans le présent comme dans le passé et l’avenir. Dans l’ennui et la fatigue des âmes, il n’y aura plus que dédain pour ce vaste univers, cette œuvre immuable de Dieu, cette construction glorieuse et parfaite, ensemble multiple de formes et d’images, où la volonté divine, prodigue de merveilles, a tout rassemblé dans un spectacle unique, dans une synthèse harmonieuse, digne à jamais de vénération, de louange et d’amour. On préférera les ténèbres à la lumière, on trouvera la mort meilleure que la vie, personne ne regardera le ciel. L’homme religieux passera pour un