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ensuite le désespoir des âmes après leur condamnation. « Les âmes allaient être emprisonnées dans les corps ; les unes gémissaient et se lamentaient : ainsi, quand des animaux sauvages et libres sont enchaînés, au moment de subir la dure servitude et de quitter les chères habitudes du désert, ils combattent et se révoltent, refusent de suivre ceux qui les ont domptés, et, si l’occasion s’en présente, les mettent à mort. La plupart sifflaient comme des serpens ; telle autre poussait des cris aigus et des paroles de douleur et regardait au hasard en haut et en bas. « Grand ciel, disait-elle, principe de notre naissance, éther, air pur, mains et souffle sacré du Dieu souverain, et vous, astres éclatans, regards des dieux, infatigable lumière du soleil et de la lune, notre première famille, quel déchirement et quelle douleur !… Quitter ces grandes lumières, cette sphère sacrée, toutes les magnificences du pôle et la bienheureuse république des dieux, pour être précipitées dans ces viles et misérables demeures !… » Et elles supplient le Créateur, « devenu si vite indifférent à ses œuvres, » de leur adresser quelques dernières paroles pendant qu’elles peuvent encore voir l’ensemble du monde lumineux.

Dieu exauce cette dernière prière, et leur montre la voie du retour par une série d’épurations dans des existences successives. Dans cette théorie de la métempsycose, le spiritualisme grec se mêle d’une manière bizarre au naturalisme égyptien. L’auteur semble placer les hommes et les animaux sur la même ligne ; chez les uns comme chez les autres, il y a des âmes justes et d’une nature divine, qui animent — parmi les hommes des rois, des prêtres, des philosophes, des médecins, — parmi les oiseaux des aigles, — parmi les quadrupèdes des lions, — parmi les reptiles des dragons, — parmi les poissons des dauphins. Dans un autre passage, Isis revient sur la transmigration des âmes et parle des hommes et des animaux qui transgressent les lois de leur nature, sans faire entre les uns et les autres de distinction tranchée. On reconnaît là des habitudes d’esprit qui n’ont rien de grec, et, quoique l’auteur ne parle pas du culte des animaux, on voit qu’il devait le trouver très naturel.

Les corps sont fabriqués par Hermès avec le résidu de la mixture qui avait servi à la préparation des âmes, et cette nouvelle opération chimique est décrite comme la première. Pendant qu’Hermès achève son travail, survient Mômos, qui lui fait des objections et l’engage à mettre d’avance des bornes aux futures audaces de l’humanité en mêlant à la vie quelques élémens de trouble et de douleur. « Ô générateur, juges-tu bon qu’il soit libre de soucis, ce futur explorateur des beaux mystères de la nature ? Veux-tu le laisser exempt de peines, celui dont la pensée atteindra les limites