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l’Égypte. Dans le Poimandrès en effet, on trouve plusieurs traits qui s’accordent parfaitement avec ce que Philon dit des thérapeutes, qu’il prend pour types de la vie contemplative : « Dans l’étude des livres saints, ils traitent la philosophie nationale par allégories, et devinent les secrets de la nature par l’interprétation des symboles. » Cette phrase, qui s’applique si bien au système allégorique de Philon lui-même, fait songer en même temps à la cosmogonie du Poimandrès, quoique les textes bibliques n’y soient pas invoqués comme autorité. On y pressent déjà les systèmes gnostiques qui sortiront d’une combinaison plus intime du judaïsme et de l’hellénisme. Philon dit encore que les thérapeutes, sans cesse occupés de la pensée de Dieu, trouvent, même dans leurs songes, des visions de la beauté des puissances divines. « Il en est, dit-il, qui découvrent par des songes pendant leur sommeil les dogmes vénérables de la philosophie sacrée. » Or l’auteur du Poimandrès commence son ouvrage par ces mots : « Je réfléchissais un jour sur les êtres ; ma pensée planait dans les hauteurs, et toutes mes sensations corporelles étaient engourdies comme dans le lourd sommeil qui suit la satiété, les excès ou la fatigue. » Il raconte ensuite sa vision, puis, après l’avoir écrite, il s’endort plein de joie ; « le sommeil du corps produisait la lucidité de l’intelligence, mes yeux fermés voyaient la vérité. » Selon Philon, les thérapeutes avaient coutume de prier deux fois par jour, le matin et le soir ; l’auteur du Poimandrès, après avoir instruit les hommes, les invite à la prière aux dernières lueurs du soleil couchant.

Après s’être répandus parmi les Juifs d’Asie, les missionnaires chrétiens allèrent porter leurs doctrines chez les Juifs d’Égypte. Au lieu des mœurs laborieuses des esséniens, qui, selon Philon, exerçaient des métiers manuels, mettaient en commun les produits de leur travail et réduisaient la philosophie à la morale et la morale à la charité, les monastères des thérapeutes offraient à la propagande une population bien plus hellénisée, habituée aux spéculations abstraites et aux allégories mystiques. De ces tendances, combinées avec le dogme de l’incarnation, sortirent les sectes gnostiques. Le Poimandrès doit être antérieur à ces sectes ; on n’y trouve pas encore le luxe mythologique qui les caractérise : les puissances divines, la vie, la lumière, etc., n’y sont pas encore distinguées ni personnifiées, et par-dessus tout il n’y est pas encore question de l’incarnation du Verbe. On y trouve déjà, il est vrai, l’idée de la gnose, c’est-à-dire de la science mystique qui unit l’homme à Dieu. Cela autorise, non pas à supposer avec Jablonski que l’auteur est un gnostique, mais à le regarder comme un précurseur du gnosticisme, aussi bien que Philon. Dans l’un, t’est l’élément juif qui