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est un ouvrage apocalyptique fort mal écrit et qu’on ne lit plus guère, mais il jouissait d’une grande autorité dans l’église primitive. Ce qu’il importe surtout de remarquer, c’est que Philon et saint Hermas représentent deux aspects différens de ce monde juif, si multiple dans son unité apparente, et dont le Poimandrès va nous offrir une troisième nuance. Les Juifs, malgré leurs efforts pour s’isoler, étaient devenus par la transportation, l’exil ou les émigrations volontaires, ce que leurs frères aînés les Phéniciens avaient été par le commerce, des agens de communication entre les autres peuples. Philon est aussi Grec que Juif ; l’auteur du Pasteur est un Juif à peine hellénisé ; dans le Poimandrès, des doctrines égyptiennes, peut-être même quelques vestiges de croyances chaldéennes ou persanes, se mêlent avec le Timée, le premier chapitre de la Genèse et le début de l’Évangile de saint Jean.

Le sujet de l’ouvrage est une cosmogonie présentée sous la forme d’une révélation faite à l’auteur par Poimandrès, qui est le νοϋς de la philosophie grecque, l’intelligence, le Dieu suprême. Comme dans Timée, Dieu est au-dessus de la matière, mais il ne la tire pas du néant. L’Intelligence ordonne le monde d’après un modèle idéal qui est sa raison ou sa parole, le λόγος de Platon et de Zénon. Par cette parole, Dieu engendre une autre intelligence créatrice, le dieu du feu et du souffle ou de l’esprit, πνεϋμα. Ce second créateur, que Dieu engendre par sa parole, produit sept ministres qui gouvernent les sphères du ciel et qui rappellent les Amschaspands de la Perse. Quant à l’homme, Dieu le crée à son image. C’est probablement un souvenir de la Bible, quoique cette idée existe aussi dans le polythéisme :

Finxit in effigiem moderantum cuncta Deorum.


D’après Philon, les anges auraient participé à la création de l’homme ; c’est ainsi qu’il explique l’emploi du pluriel dans le récit de Moïse : « Après avoir dit que le reste avait été créé par Dieu, dans la seule création de l’homme il montre une coopération étrangère. Dieu dit : Faisons l’homme à notre image. Ce mot faisons indique la pluralité. Le Père universel s’adresse à ses puissances et les charge de former la partie mortelle de notre âme en imitant l’art avec lequel il a formé lui-même notre partie raisonnable, car il juge bon que la faculté directrice de l’âme soit l’œuvre du chef, et que ce qui doit obéir soit l’œuvre des sujets. » Cette opinion se trouve dans le Poimandrès ; l’homme typique créé par Dieu traverse les sept sphères, dont les gouverneurs le font participer à leur nature. La même idée est exposée par Macrobe dans son commentaire sur le