Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 62.djvu/884

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à l’unité en religion et à l’autorité en politique, car ces deux idées sont corrélatives. L’esprit humain est séduit par les formules simples qui lui permettent d’embrasser sans fatigue l’ensemble des choses ; l’amour-propre se résigne difficilement à l’idée de l’égalité, et les philosophes sont enclins, comme les autres hommes, à préférer la domination à une part dans la liberté de tous. Ceux qui voyageaient en Asie ou en Égypte, y trouvant des idées et des mœurs conformes à leurs goûts, devaient attribuer à ces peuples une haute sagesse et les proposer en exemple à leurs concitoyens. Le sacerdoce égyptien ressemblait à cette aristocratie d’intelligence que les philosophes auraient voulu voir régner en Grèce à la condition d’en faire partie ; le sacerdoce juif leur aurait inspiré la même admiration, s’ils l’avaient connu, et ils n’auraient eu aucune raison pour s’en cacher.

La philosophie grecque, qui s’était attachée dès son origine à la recherche d’un premier principe des choses, concevait l’unité sous une forme abstraite. Les Juifs la représentaient sous une forme plus vivante ; le monde était pour eux une monarchie, et leur religion a été l’expression la plus complète du monothéisme dans l’antiquité. Pour les Égyptiens, l’unité divine ne s’est jamais distinguée de l’unité du monde. Le grand fleuve qui féconde l’Égypte, l’astre éclatant qui vivifie toute la nature, leur fournissaient le type d’une force intérieure, unique et multiple à la fois, manifestée diversement par des vicissitudes régulières, et renaissant perpétuellement d’elle-même. M. de Rougé fait remarquer que presque toutes les gloses du Rituel funéraire des Égyptiens attribuent tout ce qui constitue l’essence d’un dieu suprême à Ra, qui, dans la langue égyptienne, n’est autre que le soleil. Cet astre, qui semble se donner chaque jour à lui-même une nouvelle naissance, était l’emblème de la perpétuelle génération divine. Quoique les formes symboliques soient aussi variées en Égypte que dans l’Inde, il n’y a pas un grand effort d’abstraction à faire pour ramener tous ces symboles au panthéisme.

« J’ai eu occasion de faire voir, dit M. de Rougé, que la croyance à l’unité de l’être suprême ne fut jamais complètement étouffée en Égypte par le polythéisme. Une stèle de Berlin de la XIXe dynastie le nomme le seul vivant en substance. Une autre stèle du même musée et de la même époque l’appelle la seule substance éternelle, et plus loin le seul générateur dans le ciel et sur la terre qui ne soit pas engendré. La doctrine d’un seul Dieu dans le double personnage de père et de fils était également conservée à Thèbes et à Memphis. La même stèle de Berlin, provenant de Memphis, le nomme Dieu se faisant Dieu, existant par lui-même, l’être double, générateur dès le commencement. La leçon thébaine s’exprime dans des termes