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eût pu prévenir sans danger. La faute première, c’est que la France n’ait point insisté pour l’exécution de la convention qu’elle avait signée en 1852, ou ne se soit pas du moins autorisée de la part qu’elle avait prise à cette transaction européenne pour empêcher l’invasion des duchés par l’armée austro-prussienne. Une franche entente avec l’Angleterre eût suffi pour détourner l’Autriche d’entrer dans la ligue insidieuse que lui proposait la Prusse ; si l’on eût réuni une conférence avant l’invasion des duchés, la guerre eût été prévenue ; l’on eût pu obtenir du Danemark des concessions raisonnables, et l’on eût fait profiter de ces concessions la confédération germanique, c’est-à-dire le groupe des états moyens de l’Allemagne que nos intérêts naturels et notre politique traditionnelle nous commandent de soutenir contre la prépotence de l’Autriche, mais surtout de la Prusse. Si cette politique eût été soutenue avec simplicité, droiture et fermeté dans les derniers mois de 1862 et dans les premiers de 1863, il n’y aurait pas aujourd’hui de question allemande. La neutralité affectée, l’effacement systématique, ne nous ont jusqu’à présent donné que des déceptions : nous avions paru vouloir seconder d’abord dans le règlement de la nouvelle destinée des duchés le principe des nationalités ; la Prusse et l’Autriche l’ont brutalement méconnu. Nous avons eu l’air de croire que les états moyens pourraient faire contre-poids aux deux grandes puissances ; nous avons joué à l’idée d’une troisième Allemagne, et les troupes fédérales ont été honteusement chassées du Holstein par la ligue austro-prussienne ; puis le cabinet de Berlin a successivement démasqué ses desseins véritables. Aujourd’hui, grâce à notre habile effacement, nous nous trouvons devant la perspective d’une autre guerre de sept ans, qui, si elle éclatait par malheur, pourrait ébranler par ses contre-coups et l’Italie et l’Orient. Continuerions-nous alors à garder cette neutralité dont nous parlons encore de si bonne grâce ? L’inaction nous serait-elle permise ? Voilà une neutralité bien adroite, qui aurait laissé bénignement s’accumuler et s’aggraver au centre du continent, sur la plus importante frontière de France, tous les élémens de discorde, et qu’il faudrait rompre quand nous ne pourrions plus rien prévenir par l’action pacifique de l’influence morale, lorsque l’Europe serait en feu !

Nous repoussons de toutes nos forces de pareilles prévisions. Nous croirons obstinément au maintien de la paix en Allemagne tant que la guerre n’aura point éclaté. Un fait qui permet encore l’espoir, c’est le soin que prennent les cours de Vienne et de Berlin d’autoriser leurs arméniens respectifs par les préparatifs dont chacune attribue l’initiative à son adversaire. Les deux puissances ont l’air de reculer devant le péril et l’odieux de l’agression. Aucune n’ose porter le premier coup. Cependant cette attitude de défi mutuel ne saurait être gardée longtemps ; elle entretient en Europe une agitation insupportable. L’Autriche y pourrait moins persister que la Prusse, mieux fournie de finances que sa rivale. Il serait peut-être