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le changement a rassurés, ils peuvent donner une satisfaction pleine et rapide aux intérêts qui sont demeurés si longtemps en souffrance. Ainsi après 1851 on put substituer à l’ancienne activité politique de la France l’activité industrielle et financière ; on avait les anciennes compagnies de chemins de fer à restaurer, le réseau à continuer et à terminer, une immense partie du domaine public à mettre en valeur, tout cela au grand profit des capitaux, d’ailleurs extraordinairement grossis par les épargnes prudemment accumulées durant les alarmes de la période républicaine. En est-on là maintenant ? Y a-t-il quelque grande campagne économique à entreprendre qui puisse faire diversion aux besoins d’activité politique dont les esprits sont travaillés, et que ressentent les intérêts eux-mêmes qui ont si naturellement le goût de la discussion et du contrôle ? L’esprit d’entreprise ne trahit-il pas au contraire en France les lassitudes et les défiances qui suivent toutes les surexcitations artificielles ? La politique étrangère était un autre moyen de diversion puissante ; les questions qu’on pouvait aborder étaient nombreuses et grandes : rien n’est beau à l’origine comme les entreprises étrangères d’un gouvernement qui a les bonheurs de la jeunesse. C’est l’époque où l’on est heureux dans toutes les combinaisons, où l’on a la lune de miel des alliances, où l’on réunit les armées brillantes et frémissantes, où l’on écrase l’ennemi sous l’irrésistible puissance de ses armemens, où l’on gagne les grandes batailles ; mais avec le temps les soucis viennent traverser cette bonne fortune : les questions entamées avec verve ne laissent plus que des suites désagréables et ennuyeuses ; la fin des affaires ne ressemble plus aux commencemens. Après la guerre de Crimée, on a la triste négociation de Pologne ; l’Italie nous donne d’abord Magenta et Solferino, puis elle nous laisse les inextricables complications de la question romaine et l’existence précaire d’un royaume qui ne pourrait se constituer définitivement qu’au prix de deux terribles commotions. On n’a plus l’alliance anglaise, nous entendons la bonne, l’entente cordiale, celle qui donne à la France des moyens d’ascendant certains sur le continent. On a le Mexique. On assiste à un travail qui peut changer la force agressive et défensive de l’Allemagne d’un air de neutralité indifférente qui n’empêche point la richesse mobilière de la France de souffrir cruellement aux moindres menaces que la Prusse et l’Autriche échangent entre elles. De ce contraste comme de tous les exemples analogues qu’on pourrait demander à l’histoire, il résulte que les pouvoirs concentrés ont pour eux, à leur origine, toutes les bonnes chances ; mais après une certaine durée il y a une saute des vents au profit des oppositions libérales, et c’est alors qu’il devient opportun de diviser par une sage économie des libertés publiques les responsabilités et les pouvoirs. Si le gouvernement tardait trop chez nous à reconnaître cette opportunité, il abandonnerait de gaîté de cœur à l’opposition toutes les bonnes chances et ne se réserverait que les mauvaises. Tant que durera la résistance, la force de l’opposition ne peut en effet que s’accroître.