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que personne l’influence exercée sur les élections par l’intervention administrative, le gouvernement ne doit point s’amuser à l’illusion des avantages numériques d’un vote. Cependant nous ne voulons être ni trop exigeans ni trop impatiens envers le gouvernement, nous ne sommes point étonnés qu’il ait combattu l’amendement des quarante-cinq ; la surprise et l’émotion que lui a causées l’évolution de ce fragment détaché de l’ancienne majorité ne nous ont point choqués. Il nous suffirait que le gouvernement, à son loisir, prît en sérieuse considération la manifestation libérale de la minorité de la chambre, et y vît l’indication de la politique qu’il devra bientôt adopter. Rien ne nous interdit d’espérer qu’il saura tirer profit de cette information précieuse que la discussion de l’adresse lui a, peut-être à l’improviste, apportée touchant les dispositions du pays. Ni le discours largement construit de M. Rouher, ni la réponse de l’empereur à l’adresse ne doivent décourager ceux qui voudraient voir prendre au gouvernement la direction des réformes libérales. L’empereur a reconnu que la France veut la liberté autant que la stabilité. M. Rouher, bien mieux préparé par son talent à être un ministre de progrès qu’un ministre de résistance, a déclaré solennellement que le gouvernement ne reviendrait point en arrière, qu’il n’y avait point d’incompatibilité entre les institutions et le progrès des libertés publiques, et que la réalisation des mesures libérales demandées par l’opposition ne dépendait à ses yeux que d’un intérêt d’opportunité. Certes cet appel à l’arbitre pratique des décisions politiques n’a pas de quoi nous décourager, car l’opportunité se prononce avec autant de clarté que les principes en faveur du mouvement libéral.

Quand on interroge sans parti-pris et sans passion les circonstances actuelles, on demeure convaincu qu’il est impossible que l’esprit méditatif de l’empereur ne soit point frappé des différences qui existent entre la situation présente et celle de 1854. Les deux époques ne comportent évidemment point le même système de gouvernement. Les méthodes doivent changer avec les temps. On ne demande plus aujourd’hui au pouvoir exécutif les services que l’on attendait de lui au lendemain de la république. Une loi de réaction inévitable veut qu’après les troubles d’une révolution orageuse les sociétés effarées cherchent du repos et de la sécurité dans une concentration du pouvoir ; la France d’aujourd’hui éprouve-t-elle les fatigues, les frayeurs vagues, qui la portèrent à chercher en 1851 un refuge dans la dictature ? On ne peut plus à l’heure présente nous gouverner avec les souvenirs de 1848 ; le temps a marché, d’autres générations sont survenues, qui ne comprennent rien à la peur qu’on veut leur faire des anciens partis, et pour qui cette évocation des fantômes du passé n’est plus elle-même qu’une inintelligible vieillerie. Les pouvoirs nouveaux qui succèdent à des gouvernemens faibles et agités ont à liquider de gros arriérés d’affaires : ils n’ont pas seulement pour eux la faveur morale des esprits que