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la discussion de l’adresse a présenté une sorte d’harmonie esthétique. Le drame a eu son unité. Le thème principal a été donné franchement et hardiment par l’empereur dans le discours d’ouverture de la session : c’est l’empereur qui a appelé le débat sur les questions constitutionnelles et le système du gouvernement. Avec l’art et l’ampleur que l’on sait, M. Thiers a développé les principes supérieurs dont la revendication a fait l’intérêt dramatique de toute cette discussion. Il a fièrement rattaché le lien qui unit la constitution aux principes de 1789, et nous a montré dans l’application des dogmes fondamentaux de la révolution française les progrès constitutionnels que le droit, la logique et l’utilité nous commandent d’accomplir. Élevé et comme porté par ce magnifique préambule, le débat sur les questions secondaires de l’adresse a été actif, précis, nourri, ainsi qu’on l’a vu par exemple dans l’examen de la question algérienne et de la situation agricole. La discussion n’a plus été, comme autrefois, une succession de brillans soli : la chambre a vraiment vécu d’une vie collective ; les talens modestes se sont enhardis et ont exécuté leurs parties ; les nuances d’opinions ont osé se produire et fondre dans leurs variations graduées les rhythmes trop sévères ou les notes trop violentes des idées absolues. Puis le grand thème de 1789 a été ramené par la puissante voix de M. Jules Favre, repris en sourdine par l’amendement des quarante-cinq et l’habile discours de M. Buffet, énergiquement contredit par M. Rouher et brillamment soutenu d’une fanfare de M. Ollivier. Une allocution de l’empereur a clos cette importante manifestation de la représentation française. Quoi qu’on puisse penser de la portée de ces débats, une chose est dès à présent certaine : le pays y a vu l’exercice d’un droit vital, une garantie de sécurité, une des gloires qui lui sont le plus chères. Nous savions bien que la France, malgré une interruption plus ou moins longue de ses habitudes politiques, se retrouverait ainsi un jour identique à elle-même, tendant sans cesse vers l’idéal de 1789, résolue à obtenir les garanties légales qui protègent la dignité humaine, avec la volonté de se gouverner par la liberté, avec le goût intelligent et la noble verve de l’éloquence politique ; nous savions bien qu’au bout du glacier inerte et silencieux jailliraient les eaux vives du fleuve.

Mais notre tâche n’est point ici de raconter les péripéties de la discussion de l’adresse, de rapporter les argumentations qui s’y sont combattues, d’étudier et de juger les talens divers qui s’y sont déployés. Cette discussion n’est pas seulement destinée à laisser une grande page dans notre histoire et à inspirer à la France le juste orgueil de l’éloquence dont elle a conservé la tradition et la flamme. Au point de vue de la politique pratique, les débats auxquels nous venons d’assister sont un fait considérable dont il faut calculer les conséquences naturelles et prochaines. La portée de ce fait est très simple et peut se définir très facilement. Il est aujourd’hui bien constaté, par les discours et les votes d’une section notable du corps