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réponse à ces propositions probablement déplacées ou inopportunes, combien il est naturel de dépasser le but et de s’écrier hardiment : « Une race comme la nôtre, si supérieure au monde entier, la vieille race anglo-saxonne, le plus beau, le meilleur sang de tout l’univers ! Prions seulement que ce bonheur sans exemple puisse durer ! Je vous demande si dans le monde ou dans l’histoire on trouve quelque chose de pareil ! » Plus la critique, en réponse à ce dithyrambe, dira que la vieille race anglo-saxonne serait encore plus supérieure aux autres, si elle n’avait pas de taxe de l’église, ou que notre bonheur sans exemple durerait encore plus longtemps avec le droit électoral à six livres, plus aussi ce refrain de « la plus belle race du monde » sera retentissant. Tout idéal, tout perfectionnement sera perdu de vue, et les uns et les autres, critiqués et critiquans, demeureront dans une sphère parfaitement sans vie, une sphère où le progrès de l’esprit est impossible ! Mais que la critique laisse de côté la taxe de l’église et le vote électoral ; avec toute la candeur dont elle est capable, et sans la moindre arrière-pensée d’innovation, qu’elle rapproche de notre dithyrambe ce petit paragraphe sur lequel je viens de tomber dans le même journal où je lisais les paroles de M. Roebuck : « Un fait révoltant d’infanticide vient d’avoir lieu à Nottingham. Une fille nommée Wragg est sortie de la maison de refuge samedi matin, avec son enfant illégitime. L’enfant, peu de temps après, a été trouvé dans les collines de Mapperly, mort par suite de strangulation. Wragg est sous les verrous. » Rien que ces mots ! Mais rapprochée des éloges illimités de MM. Adderley et Roebuck, que ces lignes sont éloquentes, et combien elles donnent à penser ! « Notre vieille race anglo-saxonne, la première qui soit au monde ! » Combien il y a encore de dureté rebutante dans cette perfection ! Wragg ! Puisqu’il s’agit de perfection idéale, « de ce qu’il y a de meilleur dans le monde entier, » a-t-on fait cette réflexion, qu’un vestige de la grossièreté de la race, qu’une incapacité originelle de percevoir ce qui est délicat, se trahit dans l’accroissement constant de ces hideux noms, Higginbottom, Stiggins, Bugg ? Dans l’Ionie et dans l’Attique (nous prenons le poète sur le fait), on était plus heureux en ce point que « la première race qui soit au monde ; « sur les bords de l’Ilissus, il n’y avait pas de Wragg ! Et que dire de et notre bonheur sans exemple ? » Quelle dose de laideur, de hideuse misère, vient s’y mêler et le ternir, le workhouse, les tristes collines de Mapperly (je m’en rapporte à ceux qui les ont vues), et puis cette tristesse, cette fumée, ce froid, cet enfant bâtard étranglé ! « Je vous demande si dans le monde entier et dans l’histoire on trouve quelque chose de pareil à l’Angleterre ! » Peut-être que non ; mais alors combien le monde est à plaindre ! Et ce trait final, si court, si blafard et inhumain : « Wragg est sous les verrous ! » Le sexe même disparaît dans la promiscuité de « notre bonheur sans exemple, » ou bien, le dirai-je ? allant droit au fait, notre vigueur anglo-saxonne a fait sauter le nom de baptême, qui est superflu.

« Il y a profit pour l’esprit dans des contrastes de ce genre ; la critique sert la cause du progrès en les établissant. Si elle évite les conflits stériles, si elle refuse de demeurer dans la sphère où il n’y a de force et de valeur que pour les conceptions étroites et relatives, la critique peut diminuer