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où ce navire, divisé en vingt-quatre sections, allait être transporté dans le bassin supérieur du Shiré pour être lancé sur le lac, le docteur reçut une lettre de lord Russell, qui rappelait l’expédition en Angleterre, où il arriva lui-même le 20 juillet 1864.

Ce dernier voyage de Livingstone n’a pas eu des résultats aussi brillans que les précédens, et il a été assombri par des épreuves terribles, Mme Livingstone était venue rejoindre son mari dans les premiers jours de 1862. Née et élevée au sud de l’Afrique et faite à ce climat, elle pouvait espérer de rendre à son mari la vie d’explorateur moins pénible, mais à peine avait-elle mis les pieds sur sa terre natale que la mort la choisissait pour victime ; Livingstone dut lui creuser une tombe sous un baobab au bruit des flots indifférens du Zambèse. Cette mort ne fut pas la seule que l’expédition eut à déplorer. M. R. Thornton, géologue de mérite et voyageur distingué, mourut de fatigue et de privations en se rendant à Tété après avoir pris part à la belle expédition où le baron Van der Decken fit l’ascension du Kilimandjaro[1]. Sur neuf missionnaires envoyés par la Société des missions de Londres, sept succombèrent aux meurtrières influences du climat et aux fatigues de leur apostolat. Enfin le chef d’une expédition de missionnaires et de savans envoyée par les universités d’Oxford et de Cambridge pour fonder des établissemens dans cette admirable vallée du Shiré dont la découverte avait ému toute l’Angleterre, le vénérable évêque Mackensie, succomba avec un de ses compagnons dans un voyage entrepris pour les intérêts de la colonie naissante.

Onze tombes creusées en moins de trois ans par le dévouement au devoir, à la science, à la foi ! Pertes inutiles, dévouement stérile, dira la prudence vulgaire. Ah ! c’est au prix de semblables sacrifices que s’accomplissent les conquêtes d’une civilisation supérieure. Les tombes de ces martyrs ouvrent aux peuples de l’Occident des horizons dont ils n’avaient pas soupçonné l’existence. Il en faudra creuser plus d’une encore avant que la race mélanienne, qui inspire à Livingstone tant d’intérêt, entre dans le grand courant des nations plus avancées, et soit définitivement acquise à la religion et à la civilisation féconde des Européens.


C. CAILLIATTE.

  1. Les travaux d’exploration du baron van der Decken en Afrique ont eu une triste fin. Ce savant voyageur a été assassiné, avec son compagnon et ami le docteur Link, dans les premiers jours d’octobre 1865, à Berdera, sur le Jouba, dans le pays des Somalis.