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Le docteur partit le 10 mars 1858 sur le vapeur colonial la Perle. Malgré quelques jours de relâche au Cap, il était déjà au mois de mai en face de Quillimane, port maritime sur la prétendue branche du Zambèse que les Portugais appellent encore Bocca di Rio. Cette ville, qui aurait dû devenir une place de premier ordre, est tombée au rang d’une localité insignifiante. Bâtie sur un terrain boueux et entourée de marais et de rizières, elle offre un séjour malsain. Le golfe au fond duquel elle s’élève est séparé de la mer par une barre qui en rend l’entrée dangereuse.

L’on croyait que le Zambèse se déchargeait dans l’Océan indien par deux branches principales, qui formaient avec la mer un triangle équilatéral dont chaque côté mesurait une centaine de kilomètres. La branche septentrionale sur laquelle est construite Quillimane passait pour l’embouchure du fleuve. Une carte sortie il n’y a pas longtemps des bureaux du ministère des colonies portugaises la donne encore comme telle ; c’est une erreur. Livingstone prouve que cette branche est indépendante du fleuve, car elle a dans les eaux basses de véritables solutions de continuité avec lui. Elle est alimentée par quatre affluens qui viennent du nord ; aussi porte-t-elle parmi les indigènes un nom particulier, le Couacoua. Ce n’est que dans la saison pluvieuse qu’elle se relie au Zambèse par des canaux naturels qui se cachent au milieu d’un fouillis épais de plantes marines. Le vrai Zambèse est la branche qui coule au sud et se décharge dans la mer par cinq bouches principales, en formant un delta d’environ 40 kilomètres de base. En face de ces bouches sont des ensablemens considérables que le fleuve cherche à tourner par des courans latéraux dont les issues exercent la sagacité des marins, aucune bouée ne les signalant à leur attention. Les autorités coloniales, qui favorisaient la traite, avaient tout intérêt à cacher aux croiseurs les véritables bouches du Zambèse par où les marchands faisaient passer leurs produits humains.

L’expédition entra dans le fleuve par la plus large de ses issues, appelée le Kongona, et navigua pendant une trentaine de kilomètres au milieu d’un épais fourré de palétuviers. Des fougères d’une dimension inconnue, des palmiers nains, des dattiers sauvages s’entremêlaient aux mangliers. L’hibiscus ombreux avec sa fleur d’un blanc soufré se groupait en massifs. Des goyaviers et des limoniers sauvages s’espaçaient comme pour laisser au palmier à spirale (pandanus) pleine liberté d’élever dans les airs sa cime allongée qui rappelait aux voyageurs européens les clochers de la patrie. Cette première zone franchie, ils entrèrent dans des plaines immenses couvertes d’une herbe épaisse, serrée et tellement haute que le chasseur le plus résolu n’aurait pu y pénétrer. On la brûle