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service particulier de Livingstone, dressaient sa tente, faisaient sa cuisine, préparaient son lit avec de l’herbe ; d’autres allaient chercher du bois, entretenaient le feu une partie de la nuit ; un plus grand nombre était chargé de construire les abris, dont il fallait tourner l’ouverture vers l’ouest pour se garantir du vent qui souffle constamment de l’est. Enfin un dernier groupe palissadait le camp pour le soustraire aux visites fâcheuses.

Livingstone se mit en route le 3 novembre1855. La direction qu’il dut prendre le forçait à traverser un canton infesté de tsétsés. Pour ne pas en souffrir et conserver sa monture bovine, il le traversa de nuit ; un orage tel qu’on en voit peu dans les pays tempérés le surprit au moment où il y entrait. L’obscurité était absolue. Les nègres s’égaraient ou se jetaient les uns sur les autres. La connaissance des lieux leur aurait été inutile, si de fréquens éclairs n’eussent projeté sur leur route une rapide, mais éclatante lumière. Sorti sans accident de ce double danger, Livingstone longea le Chobé et entra dans le Zambèse, dont il suivit le cours sud-est. En peu de jours, il atteignit cette fameuse cataracte que les Makololos appellent mosi-oa-tunya ou fumée retentissante. Elle s’annonce par un bruit sourd semblable à un roulement lointain et continu de tonnerre et par des colonnes de vapeurs, dont le sommet, au moment où il les aperçut, se confondait avec les nuages ; blanches à leur base, ces colonnes, en s’épanouissant dans les airs, prenaient une nuance noirâtre. Les bords du fleuve ainsi que les îles, dont il est embelli, étaient couverts des plus beaux ombrages. Point de confusion dans le tableau : chaque arbre conservait sa physionomie particulière, et plusieurs se détachaient de leurs massifs par les brillantes fleurs dont ils étaient ornés. De gracieux palmiers ouvraient au soleil leur élégant parasol, le mohonono argenté se dressait auprès avec cette apparence vénérable qui le fait ressembler au cèdre du Liban, et un peu plus loin le motsouri élevait dans les airs son cône élancé, analogue à celui du cyprès, mais couvert de fruits écarlates. Une multitude d’autres arbres rappelaient par leur caractère général et leur feuillage nos plus belles essences d’Europe, et au-dessus de tous l’imposant baobab étendait d’un air protecteur ses bras gigantesques.

Bien que les eaux fussent basses, le fleuve mesurait encore dix-sept cents mètres de largeur. Le voyageur se fit transporter dans une petite île qui surplombe le gouffre. Ce passage, quelque court qu’il soit, ne peut se faire avec sécurité dans la saison pluvieuse ; le courant est alors trop rapide pour permettre aux plus vigoureux rameurs de l’affronter sans danger. Même dans les autres saisons, le passeur a soin de mettre son esquif à l’abri d’un malheur en le frottant d’une poudre sacrée, et il déclare en outre que cette poudre