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d’un bleu d’azur. L’illusion était complète, et M. Oswell poussa un joyeux hourra, croyant avoir devant lui le fameux lac, principal objet de son voyage ; sa joie fut de courte durée, ce qu’il prenait pour une nappe d’eau n’était qu’une vaste couche de sel recouverte d’une efflorescence de chaux. Peu de temps après, sur les bords d’une belle rivière qu’on leur dit être le Zouga et qui vient du lac Ngami, ils voient pour la première fois l’immense baobab, puis le moshoma, dans le tronc duquel les nègres taillent de grands canots, le motsonia, qui ressemble à l’oranger pour le feuillage, au cyprès pour la forme, et produit une excellente prune rose d’un goût acidulé. Des bandes de poissons, parmi lesquels le mulet domine, descendent la rivière à l’époque de la crue des eaux ; un de ces poissons, le mosula (glanis siluris), atteint de telles dimensions que lorsqu’un naturel en porte un sur ses épaules, la queue traîne à terre ; il est herbivore et se rapproche de l’anguille par ses mœurs. Une des principales tribus riveraines du Zouga, les Bayaye, sont ichthyophages, et comme tels sont en abomination aux Béchouanas du sud. Ils se servent pour pêcher de filets qu’ils confectionnent avec la fibre légère, mais forte de l’hibiscus. Les cordes flottantes sont faites avec des algues auxquelles ils fixent, au lieu de liège, des fragmens d’une plante marine renfermant à chaque nœud une cellule pleine d’air. Rien de plus paisible que ces naturels : ils ne portent aucune arme et sont par principe ennemis de la guerre. Ce sont les quakers de la race nègre.

Les voyageurs mirent vingt jours à remonter le Zouga en longeant la rive gauche, traversèrent un de ses affluens, le Tamunacle, et arrivèrent, deux mois après leur départ, à l’extrémité nord-est du lac Ngami, lequel est situé sous le 20° 30’ de latitude sud et le 20° 40’ de longitude est. Ce lac s’étend du nord-est au sud-ouest, et présente une circonférence d’environ 120 kilomètres ; il est peu profond, et d’un abord difficile à cause de la ceinture de marécages dont il est entouré. Au moment des grandes crues, l’eau est fraîche et d’un goût agréable, mais en été elle devient saumâtre. Le Ngami est à deux mille cinq cents pieds au-dessus du niveau de la mer ; le pays qui lui sert d’assiette est légèrement incliné à l’est. Le désert de Kalihari l’environne de trois côtés. La contrée qui s’étend directement au nord est richement arrosée par un large tributaire du lac, l’Ambarrah, et par de volumineux affluens du Zambèse, qui sont eux-mêmes autant d’artères d’un système de rivières de toutes dimensions. Pour atteindre Linyanti, demeure de Sébitouané, chef des Makololos, le docteur Livingstone n’avait donc plus à craindre le manque d’eau, et il savait en outre que tous les chefs de districts avaient reçu l’ordre de l’assister dans son voyage. Le plus redoutable adversaire qu’il devait rencontrer était une mouche que