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liberté d’action du voyageur. Ses travaux cependant n’avaient point été stériles : il était parvenu à fonder de belles écoles, il avait même gagné aux idées chrétiennes plusieurs familles et surtout Séchélé, le chef de la tribu. Cet homme, doué d’une intelligence remarquable, mais ignorant des droits de la conscience, était fort mécontent de n’être pas suivi par toute sa tribu. Il dit un jour au docteur : « Vous imaginez-vous que vous réussirez par le simple ministère de la parole à convertir mes sujets, alors que je n’en peux rien obtenir que par la menace ? Avec votre consentement, j’appellerai mes officiers, et, muni de nerfs de rhinocéros, nous les ferons tous croire en un jour. » Le missionnaire prit texte de cette singulière proposition pour faire comprendre à son néophyte que l’Évangile demandait une adhésion volontaire, et qu’une religion imposée est sans action morale sur le cœur.

Une sécheresse bien plus terrible que la précédente vint répandre la désolation dans le pays ; elle était telle que des aiguilles laissées à terre pendant plusieurs mois ne se rouillèrent pas. Le thermomètre, placé à 8 centimètres de profondeur dans le sol, marquait 57 degrés centigrades. Les sources étaient taries et les rivières à sec. Le pays avait l’aspect d’un âtre immense. L’agriculture était impossible et la chasse stérile. Les naturels, pour calmer les ennuis de leur oisiveté involontaire, s’entretenaient souvent des contrées richement arrosées qui s’étendaient au nord et du lac Ngami, qui en faisait l’ornement. Ils ne tarissaient pas sur l’abondance de toutes choses dont on y jouissait et sur les richesses inouïes qu’elles renfermaient : l’ivoire y était aussi commun que les pierres, et les parcs des bestiaux étaient palissadés avec des dents d’éléphans. Ces conversations, où la fantaisie nègre prenait ses ébats, firent comprendre au docteur que ces régions inconnues, classées par les géographes dans la catégorie des déserts arides, ne le cédaient à aucune autre en richesses. Il n’en fallut pas davantage pour lui inspirer le désir de les explorer. Deux circonstances, l’une très opportune et l’autre fort triste, hâtèrent la mise à exécution de ses projets : la première fut l’invitation qu’il reçut du chef supérieur de ces contrées privilégiées de se rendre auprès de lui ; la seconde fut la destruction complète de Kolombeg par les boers, qui étaient alors en guerre avec Séchélé ; ses écoles furent dispersées et sa maison abattue ; cet événement rompait les attaches qui retenaient Livingstone à son poste. C’est à partir de ce moment que le missionnaire devint un explorateur.

Les voyages de Livingstone dans l’Afrique australe présentent trois phases bien caractérisées. Dans la première, accompagné de mistress Livingstone elle-même, il monte droit vers le nord et arrive jusque à Linyanti, capitale des Makololos, située sous le 21° 30’ de