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d’une rivière et dans une situation plus propice à l’agriculture.

L’habitation d’un missionnaire au milieu des sauvages porte un cachet particulier : elle participe de la ferme, de l’atelier, de la demeure de l’homme de lettres et de l’ecclésiastique. Privé de toutes les ressources de la vie civilisée et ne pouvant s’approvisionner qu’à de longs intervalles, le missionnaire doit se munir de tout ce qui est nécessaire à l’existence multiple qu’il va mener. La division du travail n’existe pas pour lui : il est obligé d’être tout à la fois maçon, charpentier, menuisier, couvreur. Les naturels n’ont pu fournir à Livingstone dans cette branche de ses travaux qu’un bien faible secours. Il n’est jamais parvenu à leur apprendre comment l’on équarrit une pièce de bois. Leurs demeures et tous les matériaux dont elles sont faites ayant une forme circulaire, le carré dépasse la mesure de leur habileté. Ils ne peuvent ni élever un mur d’aplomb, ni croiser les joints, ni faire les angles d’équerre. Le missionnaire est en outre agriculteur ; il possède le volumineux attirail d’une ferme, chevaux, bœufs, etc., avec les instrumens nécessaires à une exploitation agricole. Il trouve parfois d’utiles auxiliaires dans les indigènes, bien qu’il soit fort difficile de leur faire abandonner leur houe et leur binette pour la charrue et la herse. Sa journée présente l’agrégation la plus bizarre de travaux incohérens. Le matin, il est pédagogue. Il dirige ou inspecte ses classes d’enfans, de jeunes gens et d’adultes des deux sexes. De retour de l’école, il prend le rabot ou la scie, le marteau ou la hache, l’alêne ou le tranchet, et répare une ridelle qui s’est disloquée, un brancard qui s’est cassé, des harnais qui ne tiennent plus. Il passe ensuite dans son jardin, et sème, plante, greffe, écussonne, taille. Il faut cependant qu’il prépare ses instructions dominicales, qu’il ajoute quelques lignes à son journal, qu’il enregistre ses observations, — enfin qu’il lise et relise les ouvrages qui composent sa petite bibliothèque pour ne pas oublier sa langue et ses connaissances antérieures. Les nègres se chargent en outre d’intercaler entre ces travaux leurs fréquentes visites, et adressent à leur instituteur religieux d’interminables questions. S’il est marié, ce qui est presque toujours le cas parmi les missionnaires protestans, sa femme a une existence aussi riche de devoirs et de dévouement que la sienne. Outre les travaux du ménage, où sa nature inventive doit se donner pleine carrière, elle surveille l’école enfantine, dirige celle des jeunes filles, catéchise les négresses et devient l’institutrice de ses propres enfans.

Livingstone resta six ans à Kolombeg, mais ce caractère fortement trempé, cette organisation supérieure devaient trouver ce champ d’activité trop étroit. Avide de nouvelles connaissances et profond observateur, il lui fallait un horizon plus étendu et la