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talent pour la raillerie aux dépens des Européens, dont ils imitent les allures, les gestes, la démarche avec une précision admirable. « Sais-tu, disent-ils, pourquoi les blancs mettent leur corps dans un sac et leurs jambes dans des tuyaux ? C’est qu’ils craignent la comparaison. »

Les Béchouanas sont intelligens et causent bien ; leurs reparties sont promptes et spirituelles ; ils ne coupent la parole à quelqu’un qu’en ayant grand soin de faire précéder l’interruption de cette phrase polie : « permettez que je vous frappe sur la bouche. » Quand un individu est à court d’expressions, on vient immédiatement à son secours ; ils appellent leurs supérieurs mon père et ma mère, leurs égaux mes frères, leurs inférieurs mes enfans. La politesse exige que l’on tende les deux mains pour recevoir un don, quelque petit qu’il soit, et si l’objet offert est édible, qu’on le partage avec toutes les personnes présentes. Leur langue poétique et riche indique qu’ils ont été jadis en possession de lumières et d’institutions supérieures à celles dont ils jouissent aujourd’hui ; les métaphores y abondent, les onomatopées y sont frappantes de justesse ; les mots qui s’appliquent à des corps glissans, fluides, mobiles, sont riches en labiales, ceux qui désignent des corps sonores sont riches en dentales. Un des caractères distinctifs du séchouana et aussi des langues de divers peuples de l’Afrique intertropicale est la valeur considérable qu’y acquiert le préfixe : combiné avec les radicaux, il donne le substantif, en multiplie le sens, marque le nombre, relie et harmonise les membres d’une phrase ; mais le mot par excellence de cet idiome est le verbe, qui présente un ensemble de combinaisons vraiment surprenant[1]. Quoique les nègres n’aient aucun culte en commun, le sentiment religieux n’est pas éteint chez eux, comme des voyageurs l’ont avancé et publié ; leur langage a pu fournir tous les termes propres à rendre les idées du théisme chrétien. Le substantif molino signifie l’Être supérieur qui est dans le ciel, et l’idée de l’immortalité se retrouve dans les. mots dont ils se servent pour remplacer le verbe mourir : falla, s’en aller, et oroga, rentrer chez soi. Sous ce rapport malheureusement comme sous d’autres, la race mélanienne a subi un recul, et sa langue est plus riche que sa théologie ; chez elle, le sentiment religieux, déshérité de lumière supérieure et de direction, s’égare dans toutes les folies de la sorcellerie ; il n’est plus qu’une source de malaise et de terreur.

Le gouvernement est simple et absolu ; les complications ne vont pas au génie de la race africaine ; l’idée d’une délégation est

  1. Voyez l’excellent ouvrage de M. Casalis, les Bassoutos ou vingt-trois Années de séjour et d’observations au sud de l’Afrique, 1 vol. in-8o, Meyrueis et Comp.