Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 62.djvu/71

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aurait appris à Giotto ; quel peintre s’il eût été maître des procédés ! Peut-être il y aurait eu un second Raphaël dans le monde.

On revient vers le prato, qui est tout vert et tout printanier. Un canal le traverse, et des statues s’ordonnent entre les troncs des arbres. A l’entour, de hauts murs de briques rouges, des dômes bleuâtres se profilent en masses puissantes sur le ciel clair, et sur les corniches des églises les oiseaux chantent au milieu de la solitude et du silence.

On aperçoit devant soi Sainte-Justine et ses huit dômes. Quoique bâtie au XVIe siècle, la forme byzantine y déploie ses rondeurs. Des ballons circulaires tournent autour des coupoles ; à l’intérieur, entre des arcades rondes, on voit le toit se creuser en énormes boucliers concaves, et l’ample voûte s’évase pompeusement, comme un ciel intérieur où joue la lumière. Tout de suite on comprend ici la puissance expressive des lignes. Selon que la forme régnante diffère, le sentiment général est différent. L’angle aigu, l’élancement de l’ogive, excitent l’émotion mystique ; l’angle droit, la solide assiette carrée de la charpente grecque, suggèrent l’idée de la sérénité saine ; la courbure byzantine, impériale ou moderne des voûtes arrondies donne l’aspect décoratif. Telle est l’impression que laisse cette église ; avec son parvis de marbres blancs, noirs et rougeâtres, avec ses pilastres carrés, ses entablemens saillans, ses chapiteaux romains, avec ses grandes proportions et sa belle lumière, elle représente, non sans bizarrerie et sans emphase. Au fond du chœur, et de la main du Véronèse, un déluge de petits anges, parmi de grandes oppositions de jour et d’ombre, se précipite sur la place où la sainte, en splendide robe de soie jaune, se livre aux mains du bourreau qui va l’égorger. Tout le reste est rempli de sculptures théâtrales, martyrs qui gesticulent, étoffes fouillées, chairs tortillées, à la façon du Bernin, et plus mignardement encore. C’est le grandiose du XVIe siècle qui finit par l’affectation du XVIIIe.

Mais le principal monument, le plus célèbre par sa sainteté, le plus riche en œuvres d’art de toute sorte est l’église de Saint-Antoine. Sur la place solitaire qui l’entoure s’élève la statue équestre en bronze du condottiere Guattamelata, faite par Donatello, et la première qu’on ait fondue en Italie[1]. En cuirasse, tête nue, son bâton de commandement à la main, il est solidement assis sur un cheval bien membré, vigoureuse bête de service et de bataille, non de parade ; son buste est épais et carré ; sa grande épée à deux mains dépasse le ventre du cheval ; de longs éperons à grosses molettes s’enfonceront loin dans la chair aux sauts périlleux, quand il faudra franchir un fossé ou une palissade ; c’est un rude homme de

  1. 1453.