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plusieurs commerçans. Les rares magasins qui existent sont mal approvisionnés parce qu’ils ne sauraient compter sur un débit abondant ; ils vendent cher parce qu’ils n’ont en perspective que des opérations limitées, et qu’ils ne craignent point de concurrence. Alors il est évidemment de l’intérêt des ouvriers de se réunir en sociétés de consommation, et il existe en France plusieurs usines où, soit par l’initiative des ouvriers, soit sous le patronage des chefs d’industrie, des sociétés de cette nature se sont constituées et fonctionnent au grand avantage de tous ceux qui y participent. Il peut arriver encore que, dans une ville populeuse où la concurrence s’exerce très activement entre les marchands de détail, on organise avec profit des magasins spéciaux à l’usage d’ouvriers employés dans une vaste entreprise, ayant tous à peu près les mêmes besoins dg logés à proximité de leur travail. On cite à cet égard l’exemple que donne à Paris la compagnie du chemin de fer d’Orléans, et encore convient-il de faire observer que le magasin dont il s’agit a été organisé et est administré par la compagnie elle-même, et que peut-être le seul concours des ouvriers n’aurait point réussi à le fonder ou à le maintenir. Quelques autres exemples, en petit nombre, pourraient être signalés. Ces magasins rendent des services incontestables ; mais ils ne fonctionnent guère qu’à titre d’expédiens. Ils remplacent la concurrence absente jusqu’à ce que celle-ci, provoquée par l’appât d’un profit, apparaisse à son tour, ou bien ils subsistent dans des conditions qui n’ont rien de commercial, qui les mettent à l’abri de tous risques et qui les rattachent à une grande combinaison industrielle, dont les chefs d’industrie dirigent et assurent les mouvemens. Ériger ces expédiens en système, proposer comme règle ce qui n’a été jusqu’ici et ne sera jamais que l’exception, c’est, nous le croyons fermement, commettre une grave erreur et ouvrir à l’ambition du mouvement coopératif une carrière qui se fermera pour lui dès les premiers pas.

Nous arrivons aux sociétés de production. Elles tiennent la plus grande place dans le débat, à ce point qu’elles sont considérées comme étant la fin suprême, et que les sociétés de crédit et de consommation ne seraient que le moyen. La plupart des économistes qui se rallient à cette pensée admettent le salaire, dans lequel ils ne se refusent pas à voir une forme légitime et honorable de rémunération pour le travail. Ils voudraient seulement que cette forme devînt moins générale, et ils estiment que l’association coopérative permettrait à un grand nombre d’ouvriers de recueillir directement les bénéfices de la production. Chaque associé serait pour ainsi dire une part de patron. Examinons, comme nous l’avons fait pour les sociétés de crédit, ce qui est possible.

Ici encore se présente la distinction nécessaire entre la grande et la