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point essentiellement organisateur, à ce point que ses lois et ses règlemens, dans les matières qui exigent l’ordre et l’économie, sont partout imités à l’étranger ? Si cela est, comment n’a-t-elle pas eu l’idée de l’association coopérative ? comment ne l’a-t-elle pas déjà mise en pratique ? — L’idée, nous répondent les survivans des écoles de Fourier et de Saint-Simon, l’idée appartient à la France, mais elle a été gâtée par l’alliage politique qu’y a introduit après 1830 et surtout après 1848 la démocratie révolutionnaire. Née en France, l’idée d’association a été discréditée par le socialisme. — Admettons que notre pays ait découvert le principe de la coopération, il n’en serait que plus difficile d’expliquer pourquoi la pratique a été si longtemps retardée, pourquoi, durant les quinze années de paix intérieure qui viennent de s’écouler, elle a été si lente, car jusqu’ici la statistique des sociétés coopératives se réduit à un chiffre très minime. Serait-ce l’effet des mœurs ? Mais aucune nation n’est plus sociable que la nôtre ; nulle part les rapprochemens entre les citoyens ne sont plus naturels, grâce au sentiment d’égalité qui prévaut dans toutes les classes de la population. Serait-ce l’effet des lois ? Mais on ne saurait prétendre que la législation allemande, qui n’a point fait obstacle à la constitution des banques du peuple, soit plus libérale, plus flexible sous ce rapport que la législation française. Si donc la coopération ne s’est point propagée en France, bien que nos mœurs la favorisent et que nos lois n’y opposent point d’empêchement absolu, il faut évidemment qu’elle n’ait pas parmi nous les mêmes raisons d’être qu’ailleurs, et il est logique d’en conclure que nous n’avons, pour réformer nos institutions industrielles, ni les mêmes besoins, ni le même intérêt que les Anglais et les Allemands.

Ces exemples écartés, ou du moins ramenés à leur juste valeur, examinons les trois principales formes de sociétés coopératives et attachons-nous d’abord aux sociétés de crédit. Laissons de côté, pour ne pas compliquer inutilement cette étude, les nombreux ouvriers des campagnes, qui sont trop disséminés sur le sol pour être réunis en un faisceau d’association mutuelle et solidaire. Il suffit de considérer les ouvriers de l’industrie : c’est d’ailleurs à ceux-ci que s’appliquent particulièrement les projets de réforme. Ces ouvriers forment deux catégories tout à fait distinctes : les uns travaillent moyennant salaire dans des ateliers dirigés par des patrons, les autres travaillent isolément ou par petits groupes, façonnant les matières premières qu’ils achètent, et vendent soit à des intermédiaires, soit, au consommateur directement, les produits qu’ils ont ainsi fabriqués. Les ouvriers salariés dans les ateliers aspirent à tirer de leur travail premièrement leur subsistance de chaque jour,