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sociétaires des magasins d’approvisionnement en Angleterre, car on ne doit pas perdre de vue que les promoteurs de la coopération en France se fondent sur l’intérêt des ouvriers, des salariés, qui travaillent dans les ateliers des villes ou dans les campagnes. S’il arrivait que les sociétaires allemands ne fussent point, à proprement parler, des ouvriers, et que la clientèle des stores anglais fût restreinte à une catégorie spéciale de la population ouvrière, les exemples que l’on invoque perdraient une grande partie de leur valeur et de leur autorité.

Pourquoi les sociétés de crédit populaire sont-elles plus nombreuses en Allemagne qu’en Angleterre ? C’est évidemment parce que le crédit allemand est moins perfectionné, moins complet, et ne répond point à tous les besoins de la production. La banque du peuple est venue combler une lacune ; mais il eût beaucoup mieux valu que l’organisation générale des banques permît de se passer de ce mécanisme spécial, qui n’a point la même raison d’être en Angleterre, où abondent les instrumens de crédit. En outre, si l’on consulte la statistique des banques du peuple en Allemagne, on remarque que ces banques ont proportionnellement beaucoup plus de sociétaires dans les petites villes que dans les cités industrielles, ce qui indique qu’elles sont plutôt à l’usage des artisans modestes et des marchands de détail qu’à l’usage des ouvriers proprement dits. — D’un autre côté, pourquoi les sociétés de consommation sont-elles plus répandues en Angleterre qu’en Allemagne ? Cela vient de ce que la population ouvrière anglaise est tout à la fois beaucoup plus nombreuse et beaucoup plus agglomérée. Cette double condition du nombre et de l’agglomération des consommateurs est indispensable pour l’organisation économique d’une sorte de ménage en commun. Aussi n’existe-t-il de stores coopératifs que dans les grands centres manufacturiers de l’Angleterre. Les ouvriers des campagnes et des petites villes connaissent à peine cette institution. Quant aux sociétés de production, nous répétons qu’elles n’ont pris jusqu’à ce jour aucun développement en Angleterre ni en Allemagne : il suffit de constater ici le fait, le commentaire viendra plus loin.

Après cette courte excursion dans les deux pays où se manifeste, sous des formes différentes, la doctrine coopérative, nous pouvons bien demander, à ce qu’il semble, comment il se fait que la France se soit laissé devancer, soit pour la conception, soit pour l’organisation pratique d’un régime auquel on attribue une si grande influence sur le progrès social. A part toute vanité nationale, n’est-il pas vrai que la France ne le cède à aucun autre peuple quand il s’agit de principes et de réformes égalitaires, et son génie n’est-il