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yeux des ouvriers sont de nature à se réaliser aussi sûrement qu’ils le supposent, et s’ils ne sont pas eux-mêmes sous le charme décevant de l’illusion.

En matière d’innovations, la meilleure propagande vient de l’exemple. Vainement on se lierait aux principes les plus certains et aux démonstrations les plus éloquentes. Si l’on n’est point en mesure de présenter des exemples qui attestent réellement et matériellement l’application pratique des principes, on risque de se heurter contre l’incrédulité et de prêcher dans le désert. Pour prouver le mouvement, il faut d’abord marcher. Aussi les conseillers du mouvement coopératif cherchent-ils leur principal argument et puisent-ils une grande force dans les résultats obtenus en Allemagne et en Angleterre. — Voyez, disent-ils, ces millions de thalers qui circulent de l’autre côté du Rhin, par l’entremise des banques du peuple créées sous la direction de M. Schultze-Delitzsch ! Voyez encore, sur l’autre rive de la Manche, les millions de livres sterling qui alimentent les magasins d’approvisionnement ! — Et ces preuves faites, ils demandent pourquoi les combinaisons qui réussissent chez les peuples voisins ne réussiraient pas également en France, pourquoi les ouvriers français seraient moins prévoyans que les ouvriers allemands ou anglais, pourquoi ils se montreraient moins portés à l’épargne, moins habiles pour la gestion de leurs intérêts.

Il ne faut assurément point contester ces exemples, mais il importe de les analyser et de les mesurer. La doctrine coopérative, on le sait, s’applique quant à présent à trois ordres d’opérations distinctes : au crédit, à la consommation, à la production. Or les exemples cités montrent que les sociétés de crédit sont plus nombreuses en Allemagne qu’en Angleterre, que les sociétés de consommation sont plus répandues en Angleterre qu’en Allemagne, et que les sociétés de production sont très rares dans les deux pays. Ces différences dans la pratiquent dans la réussite indiqueraient déjà que la coopération n’est point d’une efficacité générale, — que telle ou telle de ses formes est utile dans un pays, moins utile ou même inutile dans un autre, et que le succès peut tenir, non point à sa vertu propre, mais à des conditions particulières qui dépendent des mœurs, des lois et de circonstances purement locales. Il ne convient donc pas de décider à priori que les combinaisons essayées en Angleterre et en Allemagne sont nécessairement appelées à prospérer en France. Il n’y aurait là tout au plus qu’une présomption tirée de l’étude superficielle des faits. En second lieu, il ne serait pas sans intérêt d’examiner dans quels rangs de la population se recrutent en Allemagne les sociétaires qui participent aux opérations des banques du peuple, et de même quels sont communément les