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Conseiller aux ouvriers de s’associer dans des conditions qui excluent toute participation étrangère, c’est aller à l’encontre de leurs intérêts ; recommander ces associations en quelque sorte fermées, qui constitueraient une vaste corporation ouvrière, c’est reculer vers le moyen âge et tourner le dos au véritable progrès social tel que l’a compris la révolution même que l’on invoque, et tel que les réformes apportées à nos lois civiles et commerciales tendent à le réaliser chaque jour plus complètement. Pour tout dire en un mot, il n’est rien de plus anti-social que ce prétendu régime d’association.

Que l’on ne nous accuse pas d’avoir exagéré le sens ni la portée des doctrines qui nous sont, présentées comme exprimant la pensée des populations ouvrières. Pour peu que l’on étudie les récens écrits qui traitent de l’organisation du travail, on voit se dégager très nettement les trois idées fondamentales que nous avons cru pouvoir résumer par ces trois termes : suppression du salariat, suppression des intermédiaires, création de la corporation des ouvriers. Ces idées nous paraissent fausses, impraticables et rétrogrades. Si politiquement elles sont dangereuses, car toute illusion qui s’empare vivement de l’esprit populaire peut devenir un sérieux élément de trouble dans la société, il n’y a pas à s’en inquiéter au point de vue économique. Les doctrines nouvelles n’ébranleront pas les bases sur lesquelles reposent le travail et l’échange des services. Cependant, à côté des principes absolus qu’il était nécessaire d’examiner d’abord, le mouvement coopératif a suscité des propositions plus modestes auxquelles l’attention ne saurait être refusée. Il ne s’agit plus de remplacer par l’association ouvrière le salariat et le reste ; on désire simplement élargir le cercle et accroître la puissance de l’association au moyen de combinaisons qui, en rendant le crédit plus accessible, permettraient aux ouvriers de participer plus directement aux bénéfices de la fabrication et de l’échange des produits ; on s’appuie sur la réussite de ces combinaisons en Angleterre et en Allemagne, sur les essais tentés en France même depuis 1848, et l’on espère améliorer ainsi le sort de ceux qui travaillent. Peut-être les publicistes qui se sont voués à cette recherche n’ont-ils pas décliné avec assez de décision toute solidarité avec les principes absolus que nous combattions tout à l’heure,. et qui ne seraient jamais pour eux que des alliés compromettans ; mais du moins ils n’invoquent point d’autres doctrines que celles que la science avoue, et leur langage a le mérite d’être exempt des déclamations que l’on remarque ailleurs. Toute la question est de savoir si les désirs qu’ils expriment, les espérances qu’ils conçoivent et les promesses qu’ils se croient autorisés à faire luire aux