Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 62.djvu/651

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Cependant la reconstruction s’achève à la faveur même des luttes parlementaires qui ont semblé l’entraver. Tout en livrant bataille au congrès, le président continue à dénouer l’un après l’autre les liens temporaires qu’il avait mis aux libertés des états rebelles. Il révoque un à un les gouverneurs provisoires de la Géorgie, du Mississipi, des deux Carolines ; il rend au Texas ses assemblées représentatives. Il eût mieux fait peut-être de suivre une autre politique et de prêter plus souvent l’oreille aux avis des radicaux ; toujours est-il que sa politique, bonne ou mauvaise, a réussi, qu’à l’heure qu’il est l’Union est sauve, et qu’il serait imprudent de revenir en arrière pour courir les dangers d’une expérience nouvelle.


V

Dans tout le cours de cette longue et difficile campagne, on a vu les partis se mouvoir et s’attaquer sans relâche, et concourir cependant tous ensemble à l’œuvre de la reconstruction. Le président Johnson a paru incliner tantôt vers les radicaux, tantôt vers les démocrates, et tenir en définitive la balance égale entre les partis. D’abord on l’a entendu prononcer des paroles sévères, pleines de menaces de vengeance qu’il n’a pas accomplies ; on l’a vu ensuite se tourner vers les gens du sud, leur offrir des conditions inespérées, et se constituer leur défenseur pour mieux devenir leur maître. Enfin, quand il les a vus engagés, il leur a fait sentir le fouet et la bride, tandis que les radicaux derrière lui jetaient feu et flamme et empêchaient sa sévérité de s’endormir. Dans cette mêlée régulière, tous les partis ont joué leur rôle et servi l’œuvre commune. Il n’y a pas jusqu’aux démocrates vaincus et désorganisés qui n’aient contribué à la pacification des rebelles en leur tendant une main fraternelle comme par le passé. L’honneur doit sans doute en revenir, pour une grande part, à l’homme remarquable qui a su guider, par des chemins différens, toutes ces armées hostiles et les faire combattre côte à côte contre l’ennemi commun. Le mérite en est surtout à ces institutions libres qui permettent à toutes les opinions de se produire et à la volonté nationale de chercher sa voie au milieu de la mêlée des partis. Ces luttes politiques bruyantes, dont le tumulte peut quelquefois assourdir les oreilles et troubler les méditations des hommes d’état, sont pourtant la balance, où s’équilibrent les puissances cachées de l’opinion, l’école où la pensée publique se forme et apprend à se connaître avant d’agir. A vrai dire, dans les occasions dangereuses et solennelles, elles facilitent plutôt qu’elles