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un livre de la propre main de l’empereur. Alors les ambassadeurs touchaient trois fois la terre de leur front, et pendant leur prosternement une machine de théâtre enlevait le prince avec son trône jusqu’au plafond pour le ramener dans un appareil plus somptueux que la première fois. Ses brodequins étaient de pourpre, sa robe était constellée de pierreries ; sur sa tête étincelait une haute tiare persane, couturée de diamans, rattachée sur les joues par deux cordons de perles, surmontée d’un globe et d’une croix ; les coiffeurs les plus savans avaient disposé sur sa tête des étages de cheveux postiches ; son visage était peint. Ainsi paré, il demeurait silencieux, immobile, les yeux fixes, dans l’attitude d’un dieu qui se manifeste aux créatures ; on l’adorait comme une idole, et il représentait comme un mannequin[1].

On prend quelque idée de ce luxe, de ce culte et de ces mœurs dans l’église San-Vitale de Ravenne. Elle a été bâtie sous Justinien, et aujourd’hui, quoique gâtée à l’extérieur, misérablement repeinte au dedans, démolie par endroits ou plaquée de bâtimens discordans, elle est encore la plus byzantine de toutes les églises en Occident. C’est une construction singulière, et il y a là un type nouveau d’architecture aussi éloigné des idées grecques que des idées gothiques. L’édifice est un dôme rond surmonté d’une coupole de laquelle descend le jour. Sur le bord tourne une galerie circulaire à deux étages, composée de sept demi-dômes plus petits, et le huitième, ouvert largement, est une abside qui porte l’autel, en sorte que la rondeur centrale s’enveloppe dans un pourtour de rondeurs moindres, et que la forme globulaire domine de toutes parts, comme la forme aiguë dans les cathédrales du moyen âge et la forme carrée dans les temples antiques.

Pour soutenir la coupole, huit gros piliers polygonaux, joints par des arcades rondes, forment un cercle, et des couples de colonnettes en relient les intervalles. L’effet est étrange, et les yeux habitués à suivre les colonnes rangées par file s’étonnent ici de leurs entre-croisemens, de la bizarre variété des profils, des formes droites coupées par les rondeurs des voûtes, des aspects changeans présentés à chaque tournant par des formes discordantes. L’édifice est une créature d’un autre règne, arrangée suivant des symétries inconnues, pour d’autres conditions de vie, comme un coquillage lustré et enroulé auprès d’un articulé ou d’un vertébré, pompeux et singulier si l’on veut, mais d’un type moins simple et d’une structure moins saine. La dégradation est visible à l’instant dans les chapiteaux des piliers et des colonnes. Ils sont couverts de lourdes

  1. Ces procédés et cette attitude se rencontrent déjà chez Constantin et chez Constance.