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l’appât de la propriété territoriale et du pouvoir politique, par la promesse même de la vraie liberté qu’on leur a montrée sans la leur donner tout entière, comment veut-on qu’ils ne songent pas à se faire justice eux-mêmes et à recourir aux armes ? Le colonel Thomas, commissaire des, affranchis dans l’état de Mississipi, écrivait l’année dernière au général Howard : « Si la milice locale est organisée, je ne pense pas que les affranchis restent cultivateurs tranquilles du champ de coton. Ils sont enrégimentés et armés. Il est certain qu’il y aura des désordres, qui troubleront profondément la société. »

Aussi prédisait-on pour cette année la guerre servile. On se répétait de bouche en bouche que les nègres étaient armés dans le sud, qu’ils achetaient tous les jours à New-York des masses considérables de revolvers et de fusils, qu’ils avaient enfin une organisation secrète qu’il importait d’étouffer au plus vite. On raisonnait froidement sur la nécessité prochaine de les exterminer jusqu’au dernier homme. Les démocrates disaient qu’il y avait urgence à rendre le pouvoir militaire aux populations du sud, afin qu’elles pussent se défendre contre l’insurrection des noirs. Les radicaux disaient au contraire que le devoir du gouvernement était plus que jamais de s’interposer entre les deux races, de contenir l’une en lui faisant justice, et de dominer l’autre en la forçant de souscrire à la justice. Autrement, si on les laissait ensemble vider sans témoins leurs démêlés, il fallait craindre un massacre pareil à celui de Saint-Domingue, mais un massacre mutuel, dont les nègres seraient les dernières victimes, et qui ne tuerait l’esclavage qu’en anéantissant la race noire.


IV

Cependant l’influence du président Johnson s’affermissait dans les états du sud. On s’y habituait à le considérer comme un protecteur et une providence. Les radicaux l’avaient aidé par leur opposition même, en lui servant d’épouvantail pour effrayer les gens du sud. Leur rigueur inflexible avait mieux fait goûter son indulgence et comprendre la nécessité de lui obéir pour conserver sa protection. Lui-même, il commençait à se sentir assez fort pour commander, et il en usa pour donner enfin quelques satisfactions aux radicaux. — La Caroline du Sud et le Mississipi hésitaient à voter l’amendement constitutionnel abolissant l’esclavage. Prenant ce ton d’autorité que peut-être il aurait dû prendre plus tôt, il déclara péremptoirement aux législatures de ces deux états qu’il ne