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guerre, quand l’institution du bureau s’étendit à tous les états rebelles, elle changea d’objet et de caractère : de purement charitable, elle devint alors judiciaire et politique. Le bureau resta chargé de l’administration des terres confisquées ou tenues sous le séquestre ; il eut à faire aux populations affamées du sud, et particulièrement aux affranchis, de grandes distributions de vivres ; enfin et surtout il fut chargé de veiller à la sécurité des affranchis et de leur garantir autant que possible le libre exercice des droits civils. Quand une ligue de planteurs voulait forcer les noirs à travailler pour des gages insuffisans et dérisoires, quand la loi, venant en aide à leurs machinations, fixait à un taux ridicule le tarif des salaires, le freedmen’s bureau s’interposait entre l’affranchi et le maître, assurait au premier son indépendance, et fixait lui-même le tarif le plus équitable. Quand un noir avait à se plaindre d’un blanc, quand un blanc demandait justice d’un hoir, c’était le freedmen’s bureau qui connaissait de l’affaire, tour à tour juge et tuteur des intérêts des affranchis.

Cette institution paternelle et bienfaisante est nécessaire dans les états du sud. Pourtant elle a ses inconvéniens et ses défauts. On a reproché aux agens du bureau un zèle trop aveugle et trop exclusif pour leurs administrés. On prétend que dans certaines localités où noirs et blancs faisaient déjà bon ménage, ils sont venus apporter la discorde plutôt que consolider la paix. Ils auraient parfois annulé des contrats équitables et inspiré aux nègres, avec un penchant funeste à l’oisiveté, la folle espérance d’un prochain partage des terres de leurs anciens maîtres. On leur reproche encore d’exercer une autorité arbitraire, de rendre une justice exceptionnelle dans ces cours prévôtales qui jugent sans jury, de troubler enfin l’ordre légal et l’équilibre de tous les pouvoirs. C’est justement par là que le bureau des affranchis a rendu tant de signalés services. Était-il vraiment possible d’abandonner les nègres à la justice des états, quand les lois leur refusaient jusqu’au témoignage, quand les planteurs les retenaient et les fouettaient comme par le passé, leur faisaient accroire qu’ils n’étaient pas encore libres, où s’arrogeaient fièrement le droit de les faire travailler sans leur payer pour gages plus de 5 à 10 dollars par an ? Le vrai défaut de l’institution, c’est qu’elle est souvent impuissante à sauver ceux qu’elle protège. Comment l’esclave affranchi pouvait-il invoquer ces protecteurs inconnus, éloignés souvent de cinquante milles ? Au mois de septembre 1865, un homme fut amené à l’un des prévôts de la Virginie et condamné pour avoir maltraité des gens de couleur. « Ah ! dit-il en colère, si la guerre n’est pas finie, qu’on nous le dise ! Nous pouvons recommencer. » Ailleurs, en Géorgie, en