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des canaux et à la construction des chemins de fer, il agissait certainement beaucoup plus dans l’intérêt des créanciers de l’état que s’il avait racheté à 120 francs et plus de la rente émise à des cours bien inférieurs. La France à la veille de la révolution de février était certainement plus riche avec 186 millions de rentes inscrites qu’en 1830 avec 163. Et quant à l’Angleterre, qui a encore 18 milliards de dette, personne ne s’inquiète de voir l’amortissement obligatoire supprimé et ne s’imagine que la dette est moins sûre que lorsqu’il existait.

Il n’y a qu’une situation qui appelle une attention toute spéciale, c’est celle où, sous le coup d’une nécessité plus ou moins impérieuse, pour des causes qui n’étaient pas productrices de richesse, on a été obligé d’emprunter en assez peu de temps des sommes fort considérables. Dans cette situation, la richesse ne s’étant pas accrue aussi vite que les nouvelles charges, les créanciers de l’état, ceux qui lui ont prêté avant que ces nouvelles charges ne fussent survenues, ont évidemment le droit de demander que la génération présente s’impose des sacrifices, paie même des impôts exceptionnels pour faire face aux engagemens qui ont été contractés vis-à-vis d’eux. Ç’a été le cas en Angleterre après la grande guerre qui a fini en 1815, c’est le cas aujourd’hui en Amérique après la lutte gigantesque que les États-Unis viennent de soutenir. Enfin chez nous tout récemment, quand, pour les besoins de la guerre de Crimée et de celle d’Italie, nous avons tout à coup augmenté notre dette publique d’un intérêt annuel de plus de 100 millions et d’un capital nominal de plus de 3 milliards, nous devions bien à nos créanciers quelque chose de plus que de leur payer exactement les arrérages de leur rente : nous leur devions de consacrer quelques fonds à l’amortissement pour soutenir le crédit et empêcher les cours de s’avilir, quand même il aurait fallu les demander à l’impôt. Si la rente est aujourd’hui au-dessous de 69, — lorsqu’elle a connu des cours beaucoup plus élevés, — lorsqu’elle était encore à 81 fr. en 1853, — la cause en est sans doute dans les conditions économiques, qui sont complètement changées. La rente n’est plus seule sur le marché comme autrefois, elle a maintenant à lutter contre mille valeurs industrielles que le progrès de la richesse publique a créées ; mais cette cause même n’est pas la seule : le cours de la rente a surtout fléchi au moment de ces grands emprunts, et il ne s’est pas beaucoup relevé depuis, parce qu’il n’y a pas eu de contre-poids à l’accroissement trop rapide de la dette.

Certainement la richesse publique s’est beaucoup développée, et la France est mieux en état de payer aujourd’hui 340