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suite le même geste et le même vêtement ; leurs Vierges ne savent toutes que porter une couronne et s’avancer d’un air immobile, toutes avec une grande étole blanche, un surtout de drap d’or rayé ou écaillé comme une robe chinoise, un grand voile blanc attaché sur la tête, des souliers orange, — bref l’ancien costume grec allongé à la façon monastique et brodé de paillettes orientales. Nulle physionomie ; souvent les traits du visage sont aussi barbares que les dessins d’un enfant qui s’essaie. Le col est raide, les mains sont en bois, les plis de la draperie sont mécaniques. Les personnages sont des ébauches d’hommes plutôt que des hommes ; quand à travers l’ébauche on démêle l’homme, on découvre un spectacle plus triste, je veux dire l’abâtardissement du modèle par-delà l’ineptie du mosaïste et la décadence de l’homme par-delà la décadence de l’art.

En effet, il n’y a pas un de ces personnages qui ne soit un idiot hébété, aplati, malade. Les paroles manquent pour exprimer leur physionomie, cet air d’un homme bien bâti, dont les aïeux étaient de bonne race, maintenant à demi détruit et comme dissous par un long régime de jeûne et de patenôtres. Ils ont cette mine terne, cette sorte d’affaissement et de résignation mollasse où la créature vivante, inutilement frappée, ne rend plus de son[1]. Ils n’ont plus d’action, ils n’ont plus de volonté, ils n’ont plus de pensée, ils n’ont plus d’âme ; ils ne savent pas se tenir debout, quoique debout. On croirait à des vices, tant l’épuisement du sang et de la vitalité humaine est visible. Les anges sont de grands niais, avec des yeux écarquillés, des joues creuses, et cet air guindé, figé, des paysans qui, tirés des champs et transportés dans la régularité, dans la contention, dans les contraintes de la théologie et du séminaire, s’étiolent et jaunissent, béans et ahuris. Au-dessus des anges, plusieurs saints semblent sortir d’une longue nausée et d’une longue fièvre : on ne croit pas avant de les avoir vus qu’un homme vivant puisse devenir aussi inerte et aussi flasque, perdre à ce point toute sa substance physique et morale ; mais ce qui porte l’impression à son comble, c’est le Christ et la Vierge. Le Christ, en robe brune, avec la barbe et la belle chevelure des anciens dieux, n’est plus qu’un Dieu consumé et rétréci ; le front, siège de l’intelligence, s’est réduit et presque effacé ; les lèvres se sont amincies, la figure s’est effilée, les grands yeux sont caves. Rien n’égale cette dégradation, si ce n’est celle de la Vierge. La panagia s’est étriquée à un degré extraordinaire ; elle n’a plus que des yeux, presque point de nez et de bouche ; ses longues mains fluettes, son visage décharné, sont ceux d’une poitrinaire blême qui va finir ; elle fait un geste de mannequin, celui d’un squelette dont les os et les tendons

  1. Voyez surtout le septième personnage à gauche du Christ.