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pourtant ils n’avaient pas toujours le sceptre à la main, comme tu fais. » Encore trouve-t-on une certaine modération dans ce curieux graffito de Pompéi. Quand le peuple se plaint, il n’est généralement pas aussi poli, et ses reproches étaient d’ordinaire bien moins mesurés. A la suite d’une inscription qui contient le nom d’un magistrat d’Ulubres, on a trouvé ces mots qu’une autre main avait gravés : « c’est un coquin. » Il y a dans la satire de Pétrone une peinture fort amusante d’un de ces mécontens de petite ville. Le portrait est pris sur le vif, et aujourd’hui encore il n’a pas cessé d’être vrai. C’est un de ces hommes qui accusent l’autorité de tous les malheurs qui leur arrivent. Si le pain est cher, si la vie est dure, si le temps est mauvais, s’il fait sec ou s’il pleut, c’est la faute à l’édile ou au duumvir ; ils s’entendent avec les fournisseurs, ils vendent aux accapareurs, ils négligent les prières ou les processions : ce sont des voleurs ou des impies. « Je voudrais bien tenir, dit le convive de Trimalcion dans son langage populaire, ces misérables édiles qui, d’accord avec les boulangers, complotent de nous affamer. — A toi, à moi ! — disent-ils entre eux, et le pauvre petit peuple souffre, tandis que ces grandes mâchoires sont toujours en liesse. Que n’avons-nous encore pour magistrats ces lions que j’ai trouvés ici à mon arrivée ? C’est alors qu’on vivait bien ! Je me souviens de Sefinius : vous savez, celui qui demeurait près de l’ancien arc de triomphe… Il fallait voir comme il bousculait ses collègues dans la curie, comme il leur parlait en face et sans figures ! Quand il haranguait sur le forum, sa voix devenait aussi forte qu’une trompette. Et pourtant il saluait honnêtement tout le monde ; il appelait les gens par leur nom ; vous auriez dit, quand il vous parlait, un pauvre diable comme nous. Aussi en ce temps-là le blé se donnait pour rien. Pour un as, on avait un pain si gros que deux hommes pouvaient à peine en voir la fin ; ceux qu’on nous vend aujourd’hui sont moins larges que l’œil d’un bœuf. Tout va de mal en pis. C’est notre faute ; pourquoi nous sommes-nous donné un méchant édile de rien qui nous vendrait tous pour un as ? Il fait bombance dans sa maison, il reçoit, de toutes mains, et je connais quelqu’un qui lui a donné mille deniers. Ah ! si nous avions du cœur, il ferait moins le fier ; mais nous sommes braves comme des lions chez nous, poltrons comme des renards dehors. J’ai déjà mangé toutes mes hardes ; si cela dure, il me faudra vendre ma boutique. Je veux mourir si ce ne sont pas les dieux qui nous envoient toutes ces misères ! Personne ne croit plus à rien, personne n’observe plus les jeûnes ; tout le monde se moque de Jupiter. On n’est plus occupé qu’à compter ses écus. Autrefois, dans les sécheresses, les jeunes filles s’en allaient en procession, pieds nus et