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qu’ils ne négligeaient pas tout à fait le gouvernement de leur petite ville.

Je crains de surprendre bien des gens en affirmant qu’il y avait un certain mouvement politique et une grande liberté administrative dans une ville de la Campanie pendant le règne des premiers césars : ce n’est pas ce qu’on suppose d’ordinaire. Lorsqu’on parle de l’administration romaine sous l’empire, tout le monde a devant les yeux l’idée d’un despotisme accablant et d’une centralisation étouffante. C’est qu’on confond les lieux et les temps : le despotisme n’existait qu’à Rome ; la centralisation n’a commencé que plus tard. Quand Rome eut vaincu le monde, elle le traita moins durement qu’on ne le suppose. Impitoyable pendant la lutte, elle redevenait clémente après la victoire, toutes les fois qu’elle pouvait l’être sans danger. Elle avait trop de sens politique pour aimer les rigueurs inutiles. Généralement elle n’exigea des peuples soumis que les sacrifices qui étaient nécessaires pour assurer sa conquête. Elle leur laissa leurs usages et leur religion ; elle ménagea leur vanité, dernière consolation des vaincus ; elle honora leurs souvenirs. « Respectez les gloires du passé, écrivait Pline le Jeune à un gouverneur de province, et cette vieillesse qui rend les hommes vénérables et les villes sacrées. Tenez toujours compte de l’antiquité, des grandes actions, des fables même. Ne blessez jamais la dignité, la liberté ou même la vanité de personne. » La domination de Rome ne fut donc pas aussi tracassière que l’est ordinairement celle de l’étranger. Comme elle savait bien qu’on n’arrive pas à gouverner le monde entier malgré lui, elle cherchait à lui faire accepter son autorité en la lui faisant sentir le moins qu’elle pouvait ; nulle part elle ne détruisit pour détruire, nulle part elle ne renversa ce qui pouvait se conserver sans péril. En abolissant partout la vie nationale, elle conserva autant que possible la vie municipale ; c’était celle à laquelle les peuples tenaient le plus, et je crois bien que plusieurs d’entre eux, chez qui le lien national n’était pas très serré, durent s’apercevoir à peine de la conquête. Dans les pays les moins bien traités, les villes continuèrent à s’administrer elles-mêmes, avec cette réserve que les décisions qu’elles prenaient et les dépenses qu’elles s’imposaient pour leurs monumens ou leurs fêtes devaient être approuvées par le gouverneur romain : c’est à peu près le degré de liberté dont jouissent nos communes d’aujourd’hui ; mais il y en avait beaucoup qui étaient affranchies de cette surveillance. On les appelait des villes libres, et elles l’étaient en réalité ; on pouvait y établir les lois qu’on voulait, on n’y recevait pas de garnison romaine, on n’y payait de tribut à personne. Rome n’avait pesé sur elles, au début de la conquête, que pour mettre