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se prirent de querelle, qu’ils commencèrent par s’injurier et finirent par se battre, et qu’il y eut un très grand nombre de Nucériens tués. Le sénat punit les coupables, et il ordonna que ces combats seraient interdits pour dix ans à Pompéi. « On ne pouvait pas infliger aux Pompéiens de châtiment plus grave. Ce qui prouve l’extrême popularité dont ces spectacles jouissaient chez eux, c’est l’habitude qu’ils avaient de dessiner partout des gladiateurs. On en trouve encore un très grand nombre sur les murailles, et dans les attitudes les plus diverses. D’ordinaire ils sont représentés combattant, tandis qu’à côté d’eux un vieux gladiateur retraité, reconnaissable à son bâton, règle et surveille le combat. Au-dessous, on lit le nom du personnage et le nombre des victoires qu’il a remportées. A la façon élémentaire dont ces croquis sont tracés, on reconnaît vite qu’ils ne sont point dus à des artistes de profession. C’étaient des gens du peuple ou des enfans qui enrichissaient ainsi les murailles de leurs chefs-d’œuvre. Les enfans à qui on laissait prendre un morceau de charbon ou de craie esquissaient un gladiateur comme aujourd’hui ils dessinent un soldat, et il est curieux de remarquer que la façon dont ces jeunes mains procèdent n’a pas changé. La méthode est la même, soldats et gladiateurs se ressemblent : c’est toujours une ligne plus ou moins droite qui représente le front et le nez et deux points qui simulent les yeux. Cependant quelques-uns de ces croquis informes ne manquent pas de certaines intentions comiques. Je recommande à ceux qui auront les planches du père Garrucci sous les yeux l’attitude arrogante et l’air de matamore d’Asteropœus le Néronien, fier sans doute de ses cent six victoires (pl. 11), et surtout l’encolure épaisse d’Achille dit l’invincible (pl. 12), dont l’embonpoint nous montre qu’on ne maigrissait pas toujours dans ce terrible métier.

Pompéi était donc une ville de plaisir. On le savait dans le voisinage, et je soupçonne qu’on y venait beaucoup des environs, comme les Grecs allaient à Corinthe. C’est sans doute un de ces visiteurs, ravi des divertissemens de tout genre qu’il venait d’y trouver, qui avait écrit en s’en retournant ces mots qu’on a lus sur les murs : c’est ici un lieu fortuné, hic locus felix est. Ce visiteur n’avait pas tort, et Pompéi méritait bien le nom de colonie de Vénus qu’on lui avait donné. Cette Vénus, divinité principale de la petite ville, c’était la Vénus physique, et, comme elle y était fort dévotement honorée, on l’appelait quelquefois aussi la Pompéienne. Son nom se retrouve sur les monumens publics, et plus souvent encore dans les inscriptions populaires. Un de ces artistes improvisés dont je viens de parler, qui crayonnaient partout des gladiateurs, ne trouve rien de mieux pour protéger son dessin que de